Le projet
Liste des auteurs
N° | Titre | Auteur |
---|---|---|
1 | Le moustique et les petites roses de soleil | Emms |
2 | Pas cool la Guêpe ! | Benoît |
3 | Le papillon jaune sur la fleur d’hibiscus rouge | Gabrielle |
4 | Coccinelle MR-85 | Meriadek |
5 | Retour maison … | Pascal |
6 | A-Mante | Olivier |
7 | L’Oryctes malchanceux | Lucie |
8 | La mouche et l’oiseau de paradis | Gervaise |
9 | Le cadeau | Gabrielle |
10 | La libellule et les moucherons | Loriane |
11 | Joie et frayeur | Nadia |
12 | Plizz Ouair Euh Mask | Benoît & Emms |
13 | L'Odonate d'Or | Collectif |
Des petits êtres mécaniques sont mis en scène dans le monde vivant et illustrés par des textes originaux écrits par des auteurs différents.
Les textes
10 auteurs volontaires participent au projet Mecanat, et prêtent leur plume pour raconter leur histoire sur une créature imaginaire, et pourtant réelle. Pour alimenter leur imagination, ils reçoivent une représentation de l'insecte et le contexte naturaliste à développer.
Les aquarelles
Elles sont peintes dans un style figuratif, selon les règles des premiers aquarellistes naturalistes. Les textes peuvent être accompagnés de croquis, pris sur le vif, selon le style des explorateurs qui reportaient leurs découvertes dans des carnets.
La représentation des insectes amène un twist à cette tradition séculaire de l’aquarelle, qui fait écho à l’opposition littéraire (à fond existentiel) entre la mécanique et le monde vivant, l’imaginaire et le réel.
Liens
L'histoire du projet, c'est dans la rubrique Blog.
Le téléchargement des Newsletters et de la musique, en zone de téléchargement.
Le moustique et les petites roses de soleil
Emms
A la première heure du jour, l’aquarelliste s’installa avec son carnet devant son sujet d’étude, une splendide Aptenia Cordifolia en pot.
C’était le bon moment, l’heure à laquelle les fleurs en forme de marguerites s’ouvraient les unes après les autres, en tâches roses sur un lit de feuilles vert cobalt. Il voyait déjà quels pigments utiliser, si jamais le dessin était à la hauteur.
Après une heure d’application, le dessin prenait forme sur la grande feuille du carnet quand un grésillement d’ailes vint interrompre le silence studieux. Un moustique venait de se poser sur la plante délicate, et entreprit de suçoter les pétales de verdure avec gourmandise.
« Je signale que j’étais là le premier » rétorqua l’insecte.
Le crayon partit de travers sur la feuille, la situation était inédite. A bien y regarder, le moustique n’avait pas une taille normale, peut-être 4 fois plus grande. Mais surtout, il était fait de métal. Et il parlait.
« Est-ce que je vous ai piqué ? » hasarda la créature.
« Non, je ne crois pas », répondit anxieusement le peintre
« Tant mieux. Je craignais vous avoir offensé par ma répartie. Je ne me suis pas senti bien accueilli et je suis très à fleur de peau. Je propose que nous fassions connaissance. »
Silence, « J’aime autant que nous gardions nos distances. » Après un deuxième silence, il reprit en diversion « Avez-vous remarqué la délicatesse de ces fleurs fuchsias ?».
« Elles ne sont pas mes préférées. Je leur trouve un air – artificiel, pour ne pas dire plastique ! ».
En l’espace d’une seconde, le moustique s’était envolé. L’aquarelliste songeait immobile, planté devant la ficoïde qui s’ouvrait aux rayons dorés du matin.
« Un moustique ne vient jamais seul ».
Pas cool la Guêpe !
Benoît Minetti
Antoniella ! Ses amis à Naples l’appelaient la Vespa ! Il avait cru d’abord que sa taille fine (il en faisait presque le tour d’une seule main) était à l’origine de ce surnom. Aujourd’hui il pense que c’est plutôt à cause de la violence de son venin qu’on la désigne comme la Guêpe.
Ils avaient brûlé tous les deux d’une passion dévorante pendant les trois semaines qu’il avait passées dans la cité parthénopéenne et il se dit aujourd’hui qu’il aurait mieux fait, comme Ulysse, de s’attacher au mat du navire.
Moins d’une semaine après son retour à Casablanca il vient d’être crucifié par un whatsapp assassin « Vaffanculo ! » qui met un point final à son désir de la voir le rejoindre. Sur la terrasse au bord de la piscine il tend la main vers son Mojito et constate qu’une guêpe, justement !, est en train de se l’approprier. Il va la chasser quand il constate qu’il n’a pas affaire à un hyménoptère ordinaire : la bestiole est mécanique ! métallique ! inorganique !
Il ferme les yeux.
Il pensait que, dans sa marche inexorable vers le transhumanisme, l’homme ne tarderait pas à implanter dans le cerveau de ses enfants, dès leur plus jeune âge, des nano-télécommandes capables de piloter des petits drones qui, la spécificité et la plasticité étant, comme chacun sait, deux propriétés essentielles des réseaux neuronaux, ne tarderaient pas à devenir pour lesdits enfants de nouveaux organes, de nouveaux sens, aussi naturels pour eux que ceux dont la nature les a dotés.
Est-il possible que ce soit déjà le cas et qu’il ait vu de ses yeux l’organe artificiel d’un humain-augmenté en train de l’espionner ?
Il rouvre les yeux.
Plus de guêpe !
Et la glace pilée du Mojito a fondu transformant le breuvage en un sirop tiédasse.
Dégouté il va se servir une bonne rasade de Lagavulin et pense à l’Ecosse et à Kateri, cette charmante rouquine canadienne qu’il avait rencontrée dans le ferry vers l’île d’Islay l’été précédent. Ses amis ne la surnommaient-ils pas Wasp ? Il faut qu’il la whatsappe d’urgence !
Le papillon jaune sur la fleur d’hibiscus rouge
Gabrielle RIT
Son dernier spécimen était fin prêt.
Le vieil inventeur regarda d’un oeil rêveur le papillon jaune qu’il tenait entre ses doigts. Cela faisait des mois qu’il s’efforçait de traduire la beauté de ce papilio canadensis à travers des rouages et des écrous. Il venait tout juste de placer la pièce maître de ce papillon mécanique, des ailes qu’il avait négociées contre plusieurs services au vieux Arnold de la Tour, son meilleur ami grincheux de l’île d’à côté.
Il était temps. Il regarda par habitude sa montre à gousset sans voir l’heure et posa délicatement le papillon sur une fleur d’hibiscus rouge qui habitait son jardin. Le contraste entre les ailes jaunes du papillon et les pétales rouges sang de la fleur le saisit et marqua son esprit.
D’un geste minutieux, il appuya de la pointe de son minuscule tournevis sur la dernière sécurité qui immobilisait sa création et s’écarta de quelques mètres.
Les ailes du papillon commencèrent à bouger par soubresauts, caressées par le vent. Les rouages s’actionnèrent faisant lever les fragiles pattes de l’insecte. Animé d’une vie propre, le papillon testa ses appuis sur le pétale cramoisi, et s’approcha, gourmand, du centre de la fleur pour la butiner. Après s’être délecté de son premier nectar, le papillon prit son envol à la découverte du jardin, et du monde.
Ce moment était toujours particulier pour l’inventeur. L’extase de donner la vie à un petit être, et la déchirure de le voir quitter son atelier d’ingénierie après des mois de cohabitation. Pourquoi faisait-il tout ça ? Des mois de travail pour quelques minutes de fascination, cela en valait-il vraiment la peine ? Il avait la secrète ambition de peupler le monde de son imagination, que ses créations transportent de fleur en fleur une part de lui, à jamais. Lentement, il retourna à son atelier.
Coccinelle MR-85
Meriadek
La coccinelle MR-85, de la première génération, commençait à sentir ses batteries s’épuiser. Aussi s’affolât elle quand elle reçut l’avis neuro-typé de l’AdminSystem : « Nous clôturons le support étendu pour votre modèle. A partir du 21, il sera dé-commissioné. » Non mais sérieusement ! Retirée de la circulation ! Moi MR-85 ?
Elle alla voir alors une vielle amie Beetle-124, qui travaillait aux archives-log.
« Que puis-je faire pour supprimer la péremption ? »
« Il te faudra atteindre dans le désert la FleurSource qui ne s’ouvre que 3 jours par an, et lui permettre de déverrouiller ta date système. Ton voyage devrait durer une semaine pour arriver à temps. Prends ce GPS, il indiquera la position de la FleurSource. »
La voilà partie pleine d’espoir. Elle flotte sur une brise océane, concentrée sur le GPS à affichage Neuro-Smart. Petit point rouge sur une étendue bleue, elle ne se souvient pas avoir jamais franchi de telles distances. Il faut dire qu’elle est remontée à bloc.
« Le vent m’est favorable. En étendant mes ailes, je n’ai pas besoin de puiser dans la batterie et je devrais pouvoir compléter les dernières centaines de DMUNIs (Distance Mesurée Unité Norme Internationale) ». L’air salé la grise – « C’est bon pour mes batteries, je vais arriver dans les temps ».
Mais elle n’a pas vu les nuages menaçants et l’orage qui la fait tourbillonner. Elle atterrit sur le bateau de Jaki, étonné à la vue de cet étrange insecte. En la prenant dans le creux de sa main, il entend son message - « Laisse-moi repartir je t’en prie, vers ma mission méridien 45 parallèle 3e ». Grâce à la radio de son bateau, Jaki la lance sur le bon chemin.
- « Je vois maintenant le désert, pourvu que l’orage ne m’ait pas trop retardée. »
Là-bas, une tache jaune, brillante comme un soleil, fait vibrer de plus en plus fort le GPS de MR-85- « Beetle-124, j’ai gagné ! »
A bout de force, elle se laisse tomber dans les rayonnants et frais pétales de la fleur de cactus, s’irrigant de leur rosée, comme enveloppée, baignée par cette fontaine de jouvence.
Retour maison …
Pascal MONS
Rodolpho, le vieux criquet, enseignait les plantes à Emeraude, la jeune sauterelle écervelée.
« Regarde ce Bougainvillier. Où est sa fleur : les trois feuilles colorées, ou les minuscules marguerites à l’intérieur ? »
Avant qu’Emeraude comprenne, Rodolpho entendit un cliquetis, provenant d’une sauterelle, verte, mais aux pattes brillantes, posée sur une branche du bougainvillier grimpant vers la fenêtre. L’étrange créature voulait sauter, mais retombait sur sa feuille. Les deux insectes la rejoignirent et tentèrent de dialoguer.
Emeraude demanda « - Une étrangère ? »
Rodolpho, qui avait étudié au Caire, réfléchit :« - Les insectes n’ont aucune nationalité, mais viennent d’un continent, tels les frelons d’Asie.
- Une sauterelle asiatique ?
- Exactement, je lis sur son aile « made in China ». Une machine !
- Qu’est-ce qu’une machine ?
- Toute chose ne sortant ni d’un œuf ni d’un ventre. Souvent dangereuse, mais celle-ci semble inoffensive.»
Sotty avait échappé à la télécommande du maître, une interférence, ou une cyber-attaque ? Elle était programmée pour revenir automatiquement chez elle et la fenêtre était ouverte.
Rodolpho connaissait la mécanique, et Emeraude apportait son expertise informatique.
Sotty avait coincé une tige du bougainvillier dans une articulation, et le robot piétinait de son métal inoxydable cette belle plante, contrariant ainsi Rodolpho.
- Reprogrammons cette créature pour qu’elle redescende, mais auparavant, dégageons sa patte.
Avant qu’Emeraude réagisse, Sotty s’immobilisa.Rodolpho, expert en électromagnétisme, comprit vite que la batterie était déchargée. Emeraude, trouva un câble USB. Sotty était heureusement d’un modèle standard. Il fallait une nuit de charge.
Le lendemain, le cours de botanique reprit. Sotty avait disparu.
Emeraude s’interrogea « - Pourquoi fabriquer une fausse sauterelle pour escalader un vrai bougainvillier, plutôt que l’inverse, beaucoup plus fiable et moins gourmand en énergie ?»
Rodolpho s’épatait des progrès d’Emeraude à son contact.
A-Mante
Olivier RIT
Pan, plein, plan, rataplan. Or, horde, ordre et progrès. Je, vais, tout, nettoyer. Ah ! Voilà les orchidées. Ordre guidé, hors ciblé. Or, qui dérape ? Rap, rampe, râpe, rends ton plan. : Ne pas se laisser distraire par l’environnement. Rouge et violet ça résonne pourtant sur la bonne longueur d’onde… J’en connais qui se mettraient en pause, en rose, en flouté filouté, histoire de se re-pauser ! Lézards autistes, contents-plateurs, des aquarellistes délavés amoureux du lavis lavette !....alors qu’appuyer sur la gâchette…, tout en détente, en ressort, en piston, pistolet, pisse ton sang, le sang-guignolant qui surgit de sa boîte … oh …ça vit, ça vibre, des secousses jusque dans les antennes et les mandibules qui crissent , croquent et… crac … voilà le boulot ! Il ne reste plus qu’à bien nettoyer.
On peut monter en pression, s’embrumer les capteurs, avoir du jeu dans les liaisons mais à la fin on reste des machines, non ? Le travail bien fait, nickel, chrome, et titane brossé ! Quoi c’est mal ? Ah ne me reparlez pas de ça, le mal, le mâle, le malotru, le mâle-à-barre, le mal-équipé oui ! Emotif va ! Tout en désordre, en sentiment. Je vous en foutrais du sang-timent !
Remarquez, c’est bien la seule chose à laquelle c’est utile ! Je suis l’A-mante, le Top-modèle alors bien sûr que je suis pour le glamour, l’amour, la mort. C’est inscrit dans mon design, mon dessin, c’est mon dessein, mon destin. C’est pourquoi ça m’a fait bien frire quand je suis tombé sur un drôle de numéro la dernière fois … modèle Mi2 ...et qu’il couinait son matricule pendant que je terminais de le découper … Metwo ! Mitou ! Mets tout mon loulou ... je ne me suis pas privée ! ça a fait pschitt et que buzz l’éclaire !
L’Oryctes malchanceux
Lucie Lefèvre
Il est encore tôt, et pourtant la chaleur se fait déjà sentir. Le scarabée rhinocéros, se déplace péniblement sur la terre sableuse qui roule sous ses pattes. Cela fait déjà plusieurs jours qu’il est en chemin. De collines en plateaux, des journées trop chaudes aux nuits glaciales, les ascensions sont laborieuses. Parfois, une plante offre généreusement son ombre, mais cela fait maintenant trop longtemps qu’une telle opportunité s’est présentée. Le soleil continue de monter dans le ciel. Enfin, un cactus se dresse à l’horizon de notre compère. Celui-ci se presse, se tend, et déploie de nombreux efforts. Sa carapace dodeline dans le désert. Les mètres deviennent des décimètres, puis des centimètres. Ça y’est, nous y voilà, Oryctes nasicornis vient à la rencontre de l’ombre salutaire.
Le repos tant recherché nous permet de nous attarder plus précisément sur l’aspect du coléoptère. En effet, la cuirasse de ses élytres semble plus solide encore que ce que la nature aurait convenu. En y regardant bien, il ne s’agit non pas de sclérotine, mais d’un alliage. Quant aux articulations de ses pattes et de ses mandibules, elles sont composées de très fines visseries. La finesse de l’ouvrage aurait pu nous méprendre sur la fragilité de notre scarabée rhinocéros. Malgré sa résistante morphologie, notre ami apprécie son repos.
La plante qui héberge notre courageux compagnon est une opuntia microdasys. Un cactus à feuilles raquette dont les aréoles ressemblent à des petits coussins en velours jaunes. Notre compagnon vient se lover contre la plante. Un réconfort après tant d’efforts. Le malheureux s’aperçoit trop tard que les aréoles de notre cactacée sont composées de micro-aiguillons qui donnent l’aspect du velours, mais pas son confort. Qui s’y frotte s’y pique ! Sa cuirasse n’est pas superflue pour affronter l’épineuse cactée qui l’héberge de mauvaise grâce. C’est courroucé que notre oryctes reprend le chemin de son aventure.
La mouche et l’oiseau de paradis
Gervaise RIT
Une mouche se promène, un peu bougonne et maussade. Elle réfléchit à sa vie.
On ne l’apprécie et l’admire guère. Petite, noire et trapue elle n’est pas très attirante. Ce n’est pas comme les beaux papillons, les graciles libellules, les utiles abeilles ou les mignonnes coccinelles, personne ne s’intéresse à elle ou s’émerveille de son existence. Oh bien sûr, ceux qui l’on créée en ont fait un robot nettoyeur bien utile mais on la chasse toujours ou on cherche à l’attraper pour la dévorer, la prenant pour une de ses consœurs vivantes.
Perdue dans ses pensées moroses, elle volette ici et là sans prêter attention à ce qui l’entoure et tombe d’un coup au détour d’un buisson sur un strelitzia, un oiseau de paradis. Stupeur elle croit s’être précipitée dans le bec d’un volatile exotique et s’imagine déjà avalée par ce bel oiseau. C’en est fini de son existence de pauvre créature.
S’étant arrêtée juste à temps, pour se remettre de ses émotions elle observe discrètement l’oiseau immobile. Ses couleurs et ses lignes sont si belles, qu’elle est attirée vers lui et ne peut s’empêcher de s’approcher pour l’admirer: ses grandes ailes vertes, son cou gracile, sa chatoyante crête orange feu et bleu outremer, son long bec rouge et vert. Ah si seulement elle était aussi fine, colorée et racée que cette créature, sa vie serait si belle ….
En s’approchant encore plus près, elle se rend alors compte de sa méprise : ce n’est pas un dangereux et fier oiseau prêt à la gober mais une immobile et inoffensive fleur ! Ragaillardie, la mouche se met à penser.
« Comme je suis « bête » de m’apitoyer sur moi-même ! Qu’ai-je à envier à cette beauté statique, sans but, immobile qui attend juste qu’on l’admire ! Moi je peux voler où je veux, découvrir le monde et accomplir ma mission. Je suis libre et j’ai un but dans la vie ! »
Rassérénée sur le goût et le sens de sa vie, la mouche repart gaiement voletant d’un point à l’autre à la recherche d’un déchet à éliminer en bon petit robot nettoyeur.
Le cadeau
Gabrielle RIT
Araknea virevoltait de toiles en toiles, se promenant dans le réseau tentaculaire de fils qu’elle avait construit depuis des années. Lou allait bientôt se réveiller. Elle avait une heure devant elle pour trouver un cadeau pour l’anniversaire de son amie. Son horloge interne lui avait rappelé ce matin que cela faisait un an jour pour jour que Lou l’avait ramassée et réparée avec des outils de fortune.
Depuis, elles étaient inséparables et survivaient ensemble dans les rues de Meridian. Lou était la seule personne qui n’avait pas peur d’une araignée mécanique et ne la considérait pas comme un nuisible. La petite fille lui avait appris à aller chiper des pièces de monnaies dans la poche des passants, et Araknea utilisait souvent son fil artificiel pour recoudre les bouts de tissus qui servaient à Lou de vêtements.
Mais aujourd’hui était un jour spécial. Plutôt que quelques écus ou une miche de pain, Araknea voulait trouver quelque chose d’unique.
Elle arriva sur la place du marché où les commerçants commençaient à peine à ouvrir leurs échoppes. Fruits, légumes, animaux sauvages et mécaniques, bazars de quincaillerie et concoctions aux propriétés magiques, tout se vendait et s’achetait - ou pouvait disparaître subtilement, pourvu qu’on ait les compétences d’Araknea. En plus de ses fils qui lui permettaient de se déplacer avec rapidité, Araknea avait mémorisé toutes les habitudes des marchands, savoir utile pour pouvoir voler sans être vue. Elle passa sans s’arrêter devant un cracheur de feu qui s’échauffait la gorge, puis un boulanger qui alignait méticuleusement ses petits pains. Soudain, elle fut attirée par les couleurs vives d’un fleuriste. Son étal était couvert de fleurs aux milles et une couleurs, et un petit cactus était un peu à l’écart. Araknea fut fascinée par le contraste entre l’aspect épineux du cactus, et la majestueuse fleur qui le couronnait. C’était décidé, cette fleur serait le symbole parfait de son amitié avec Lou, née de la rencontre entre deux êtres remplis de solitudes.
La libellule et les moucherons
Loriane RIT
L’air est doux, les fleurs ouvertes en ce début d’après-midi. Un vrombissement soudain interrompt ce doux havre et du ciel apparaît comme un astéroïde. Grossissant et grossissant se détache de mieux en mieux et se dessine une fine et puissante machine constituée essentiellement d’un long cylindre et d’ailes élancées. La mini fusée fonce à 90km/h vers un buisson de fleurs veloutées pour se poser en un sifflement dessus. L’Odonate est arrivé faire la Récolte.
De la plante apparaissent de petites sphères virevoltant comme des moucherons qui viennent flotter autour de leur maîtresse.
- « Surveillance de tous pour la Sécurité de tous » émet le haut-parleur interne de la libellule.
- « Surveillance de tous pour la Sécurité de tous » répondent les Apodes.
Chaque mardi les agents du Bien-être général récoltent en Bluetooth les images et sons qu’ont enregistrés les petits moucherons sur les autres insectes afin de s’assurer que tout va bien et que tout le monde suit le Maître. La procédure se déroule bouton par bouton de fleurs étant donné que chaque petite machine à sa fleur qui lui est dédiée. Tout se passe bien quand à 62% du chargement apparaît un message d’erreur, O5438 n’est pas connecté.
- « Identifiez l’état de O5438. Identifiez l’état de O5438 » répète automatiquement l’Odonate. Dans ce genre de situation les Apodes doivent s’exécuter au plus vite. Personne ne veut être réinitialisé par les agents. Virevoltent alors de manière désorganisée tous les moucherons sous l’agacement de la stricte libellule.
Au bout de quelques secondes, ce qui en temps de mécainsecte équivaut à des dizaines de minutes, le temps précieux est gâché. Serait-ce une révolution, les Voisins auraient-ils attaqué ? Tant de questions défiant l’Ordre. L’Odonate lance alors une localisation de la puce, une sorte de boîte noire d’avions. Et c’est quelques mètres plus loin qu’ils trouvent… L’apode O5438 déchargé dans une fleur voisine.
Il avait oublié de se brancher pendant la nuit.
Joie et frayeur
Nadia Lefèvre
Ah ! Que je suis contente d’être ici ! Cette sortie me permet de découvrir tellement de choses, moi qui sors tout juste de l’atelier !
Tout à l’heure, au jardin, j’ai pu sentir toutes ces herbes que les humains appellent « menthe », « thym », « sarriette » … et contrairement à la petite fourmi noire que j’ai rencontrée là-bas, je peux sentir à distance, sans mes antennes (qui me permettent bien autre choses…).
Je peux entendre parler les gens chez qui je viens d’arriver. La femme que j’entends chanter, a parlé de faire un thé avec la branche sur laquelle je suis installée. Ah ! La voilà qui arrive…
« -Viens mon petit cœur, regarde comment on prépare le thé à la menthe. Il faut prendre dans ces pots le thé vert...une cuillère ; le sucre aussi… et on effeuille un peu la menthe. Tu prends la menthe ?
- Oh !! Mamina Mamina ! Regade la bête ! C’est une foumi peut-ête ? »
Et je me retrouve soudain à nu, près de ces pots qui ne me protègent que peu, avec des paires d’yeux immenses, tout proches, pour me scruter… ! Jusque-là ils étaient sympathiques, mais là, je me sens un peu...heu...observée de trop près !
« - Oh mais oui, ça ressemble à une fourmi, mais je n’ en ai encore jamais vu une comme celle-là ! On va bien la regarder pour s’en souvenir et raconter à Papet! »
Je profite de leurs regards qui se croisent pour m’éclipser et retrouver un peu d’intimité. Je file me cacher et explorer un peu plus loin ! Cette promiscuité ne me convient pas !
« - Ah ben, Mamina, elle est partie la foumi !
- Et bien, nous, on va préparer le thé, alors ! »
Plizz Ouèrheum’ Asq
Benoît & Emms
Un grésillement. Au milieu de nulle part. Comme un gémissement.
Un saphir aux reflets cuivrés, presque immobile, épinglé sur le haut d’un cactus.
« Plizz Ouèrheum’ Asq ! Plizz Ouèrheum’ Asq !»
Le voici qui bouge un bras articulé, puis un deuxième, et la créature progresse vers le sommet, se frayant un chemin improbable et défiant la gravité.
Sur son dos, 5 lettres, HAEB. Comme Highly Autonomous Electronic Beetle Device. Il y a quelques années, l’antenne marocaine de SK robotique à l’occasion de la pandémie Covid-129 eut l’idée lumineuse d’extraire une dizaine de prototypes des chaines de drone terrestre pour leur greffer à la hâte un bout de code rudimentaire avec deux fonctions : 1- crier « Please wear a mask » en présence d’humains et 2- obéir à des ordres sommaires envoyés par radio selon un protocole simpliste qui se résumait en gros à indiquer la direction à suivre jusqu’à nouvel ordre. Le programme avait été récompensé par l’award royal de l’innovation catégorie espoir du développement sanitaire durable.
Sur l’un de ces prototypes, à l’insu des huiles de la société, un stagiaire génial avait ajouté la toute première version de conscience artificielle.
Me concentrer sur l’instant, garder l’Equilibre.
Le saphir penche imperceptiblement vers le côté, dévie une épine d’un de ses bras articulés, et se hisse un demi centimètre plus haut au prix d’un Plizz Ouèrheum’ Asq
L’intervention du stagiaire avait perturbé la chaîne de livraison des prototypes, si bien que le drône expérimental et révolutionnaire a été oublié au pied des salles machines. Personne n’aurait pu imaginer que par simple captation magnétique, le petit scarabée mécanique ferait tourner sa CA en continu, passant du stade de conscience à celui de l’omniscience, et enfin l’émotion. Il a développé l’empathie absolue pour le monde des vivants, naturels et artificiels.
Pour eux, défier l’impossible. Si je conserve l’Equilibre, alors entendront-ils.
D’un dernier mouvement parfait, le mécascarab atteint le sommet étoilé du cactus.
« Plizz Ouèrheum’ Asq ! Plizz Ouèrheum’ Asq !»
L’Odonate d’or
Collectif
“Ici tour de contrôle.”
“Je répète, ici tour de contrôle”.
“Au nom de la suprême Odonate d’or 5MS, je demande le statut des troupes.”
“Tour de contrôle, ici Méridian, j’ai des informations sur Arak-N34, à vous.”
“Méridian, je vous écoute.”
“Arak-N34 a été détectée dans le marché de la ville, puis est à nouveau devenue rogue.”
“Rogue? Ne vous avais-je pas demandé de désactiver cette feature des Arak-NXX ? Comment va-t-on la retrouver maintenant ?!”
“Cette feature a bien été désactivée des générations Arak-NXX. Mais il semble que le spécimen Arak-N34 ait réactivé son composant rogue.”
“Message Agent MSTK pour 5MS”
“MSTK, vous êtes en ligne”
“Opération aquarelliste annulée. La cible était informée, attaque reprogrammée à 11 Papa Mike - deux trois zéro zéro”.
“WASP-Control à tour de contrôle, nous avons un visuel sur le module de type Mécaguêpe Wasp3358, c’est … inattendu !”
“Tour de Contrôle à WASP-Control, demande de précision, qu’entendez-vous par inattendu ?”
“WASP-Control à tour de contrôle, le module Wasp3358 était porté manquant depuis le début d’après-midi. Nous venons de reprendre contact radio. L’analyse de ses enregistrements de vol indiquent qu’il a testé un prélèvement d’une solution fortement dosée en acide citrique, menthol et éthanol. Les résultats de l’analyse sont assez confus puis le rapport indique que le module va tester le vol en spirale. Je pense que c’est à ça que nous assistons et c’est … inattendu ! Terminé”
“Tour de Contrôle à WASP-Control, apprenez à maîtriser vos modules, nous n’avons aucun programme de test de vol dans notre back-log cette semaine ! c’est un peu le foutoir dans votre unité ! Terminé”
“WASP-Control (à part) : We Are Still Pumping ! On pourrait en faire notre nouvelle devise !”
“Ô Bien-être général, j’ai reçu un signal de PAP-CAN0. Ici Delta3, District 32.”
“Je vous reçois Delta3, à vous.”
“On a repéré la signature de PAP-CAN0 dans un champ d’hibiscus rouge, coordonnées GPS 45.4972159, -73.6103642.”
“Quel est son statut ?”
“Son signal est faible, il semblerait… qu’elle ait butiné jusqu’à épuisement. Recharge en cours. Terminé.”
"ORY-26 à tour de contrôle – ORY-26 à tour de contrôle, état de surchauffe avancé, mon GPS est en rade. Je suis complètement paumé. Pouvez-vous me localiser ? A vous."
"Ici tour de contrôle, bien reçu ORY-26. Nous tentons une localisation… Ca y’est je vous ai sur le radar, bon sang, ORY-26 dans quel état êtes-vous ?!"
"C’est un peu long à expliquer, je ne vais pas m’étendre, disons que le milieu est assez peu hospitalier dans ce désert."
"Je vous envoie A-MAT en urgence. Elle a terminé sa mission pour MI2. Elle n’a pas son pareil pour vous débarrasser des épines qui se sont infiltrées sous votre cuirasse. Reprenez-vous mon vieux, vous avez un air tout à fait lamentable ! Terminé"
"Bien reçu tour de contrôle. Terminé"
“Ground meca, ici Odonate Azure. Mes agents ont capté un signal d’alerte de FRM-1. Niveau 3.”
“FRM-1 aurait vu des humanoïdes d’un peu trop près lors d’une mission d’exploration. Crise d’angoisse en cours, ETA 5 minutes. Demande d’envoyer des phéromones d’apaisement ASAP.”
“Ici Ground meca, demande bien reçue. Permission d’émission de phéromones W33D à FRM-1 accordée.”
"Nouveau message pour la Tour de Contrôle, une sauterelle mécanique était signalée coincée dans un bougainvillier.. Alerte terminée, sur place on ne voit plus que deux insectes d’origine biologique. La vigilance reste néanmoins de mise, nous repasserons pour un nouveau check. Par contre pas de nouvelle de MR-85, elle a disparu de nos radars depuis 2 jours."
“A tour de contrôle, du superviseur DIPTERE-NET, tous les nettoyeurs sont actuellement en action conformément à leurs plans de vols.
Une seule anomalie à remonter: ce matin, MCH-NT2020 n'a pas signalé de déchets pendant plusieurs minutes, puis son rapport GPS a noté un arrêt et ensuite tout est rentré dans l'ordre, elle a repris sa tournée.
Certainement une zone de turbulences ou un passage à vide. Il faudra veiller ( Pchhhttt) ses batteries ( Pchhhttt) prochain passage ( Pchhhttt)”
Le soleil darde la rocaille de rayons de sang. L’odonate d’or réduit le volume de ses récepteurs audio. La surveillance robotique s’évanouit. Le chuintement laisse place à un profond silence.
Que l’agonie du jour est belle.
5MS se met à rêver.