La rockstar de la Médina. Qui chante les aquarelles de Casa.
Mise en scène
Plongée dans la Medina
Benoît, alias Minetti, alias BEN, m’a accompagné dans différents projets d’aquarelles, en particulier sur le projet Ricochet.
Non seulement il m’a fourni ses enregistrements de guitares (avec un S car il a de nombreuses guitares, y compris des instruments à corde de sa propre fabrication à la sonorité de contrebasse), mais encore il a partagé les étapes de conception et de réalisation des aquarelles lors de nos déjeuners réguliers.
Pour clôturer le projet Ricochet, je lui ai proposé de peindre son portrait sous 2 conditions :
- qu’il m’accompagne dans la Medina pendant une demi-journée, de façon à ce que nous nous imprégnions du lieu ;
- qu’il me fournisse une chanson originale, que je puisse passer en boucle pendant que je peins.
Composition
Pour intégrer un personnage de pied, donc en vertical, j’ai choisi une composition radicale :
- Un seul point de fuite, placé sur la droite en haut du tableau. Facile à localiser, suivez le manche de la guitare ;
- Une source de lumière placée en symétrie, pour que les ombres s’allongent dans la direction du point de fuite.
Cela aboutit à une construction en deux triangles. La délimitation est une oblique à 45 degrés, dans la lignée du portrait Américaine.
Les triangles sont de valeurs opposées : l’un blanc, l’autre noir. Ils comportent des zones en contraste :
- le visage et la silhouette de la femme pour la partie sombre ;
- l’ombre de Benoît pour la partie claire.
Graphismes
Hachures
Le sujet est recomposé à partir des différentes photos que j’ai prises pendant notre matinée d’immersion. J’ai préparé mon dessin à la tablette numérique. Cela fait partie de mon processus de création, je peux positionner les sujets, les déplacer, reprendre des zones.
J’ai demandé conseil à Loriane qui a un œil expert, pour savoir si Benoît devait être plus ou moins en premier plan. Nous l’avons mis au 1er tiers vertical.
Je prépare ce que j’appelle le fouillis de la Medina : on ne sait pas trop où cela va, il y a un inattendu dans une profusion de formes. J’aimerais bien garder tous ces traits dans le dessin final.
Visage
Sur ce détail du visage, je travaille la ressemblance : quelles parties mettre en avant, lesquelles occulter. Avec quelques hachures, et en insistant sur quelques traits, le visage apparaît.
Délimiter la barbe qui va apparaître blanche, marquer l'oreille, l'œil de profil, l'ombre du col.
Comment vais-je traiter les motifs de la chemise ?
Personnage
Aquarelle du personnage
Il est temps de passer à mes pinceaux. Pour rester dans le style Ricochet, je choisis 3 couleurs principales : bleu outremer, jaune sans cadmium et rose permanent. J’aime beaucoup le bleu outremer, qui passe au mauve avec beaucoup de douceur, et que la permanence du rose peut raviver de façon électrique.
J’aime beaucoup le bleu outremer, qui passe au mauve avec beaucoup de douceur, et que la permanence du rose peut raviver de façon électrique.
Visage polychrome
J’avais développé la théorie des visages polychromes dans les derniers tableaux Ricochet : remplacer le noir par une couleur franche. Je choisis le rouge, mais franchement n’importe quelle couleur peut fonctionner. Le tout est d’accorder les autres parties de visage avec la couleur principale. Sur mon tableau, je veux la chaleur de la Medina, et un accord avec la guitare électrique. Les cheveux permettent d’amener du vert, violet, brun. Les reflets sur les lunettes sont un bon prétexte pour une touche de bleu.
La chemise est jaune et violette, je veux équilibrer les zones de rouge. J’ai comparé différent coloris sur mon épreuve numérique, pris l’avis de ma consultante experte (Loriane). Jaune et violet sont validés comme Rock’n Roll Gipsy. Les ronds sont réservés au liquide à masquer, puis remplis à la pointe du pinceau.
Personnage de plein pied
Jour après jour, je traite une partie du personnage.
Après le visage et les mains, je passe à la guitare. Elle est peinte avec application, en lavis très neutre pour faire ressortir le rouge et les délimitations blanches. Travail de grande précision, pour tracer les cordes par omission (peinture en négatif du fretboard, détails des boutons, micros et amplis). Je continue avec la veste grise. D’abord les manches et le col, dans des tons très clairs pour marquer les plis plus sombres. Puis le pan de veste avec des couleurs plus soutenues, toujours apposées en mouillé sur mouillé.
Le jean
Je peux passer au Jean, que je veux très graphique. Les zones sont traitées par ensembles géométriques, sortes de triangles et de rectangles aux intensités très contrastées. Cela va restituer la lumière crue de cette matinée casablancaise.
Les baskets constituent un vrai défi : celle de droite dans la lumière, celle de gauche à moitié dans l’ombre. Les pieds sont importants dans ce tableau, car ils sont la source de l’ombre du personnage. Je termine la sangle de la guitare en écrivant Robatong, le nom du groupe africain de Benoît. Je texture soigneusement la sangle en gris foncé.
Après une semaine de peinture, j’ai terminé le personnage. Est-ce que je risque de tout gâcher en peignant la suite ?De l’aquarelle au dessin
Noir c’est noir
Comme expliqué en début d’article, j’ai une idée précise du tableau final. Et puis si je rate, je peux toujours recommencer.
Je commence avec un fond bleu pour marquer la zone sombre du tableau. Le profil est rehaussé d’un noir profond, qui se fond sur le bleu outremer sur la droite. Des formes diffuses suggèrent le fouillis.
Sur la gauche de la tête, le noir perd son intensité pour faire place à une texture entre bleu outremer et brun de Vandyke. Ils font la transition avec les zones grises que je vais peindre par la suite sur la gauche du tableau.
Gris chantant
Sur la gauche du tableau, je laisse libre cours à des gris colorés. Passant du bleu au rose, de l’orange au bleu, les couleurs se mélangent et se texturent.
Avec malice, je glisse des idées subliminales à travers quelques mots publicitaires : Class, Câlin.
Par référence au vendeur de poule, j’improvise une cage à poulets façon bande dessinée.
Mélanges de forme
Quand le regard se déplace vers la droite, les couleurs donnent place aux traits. J’ai pensé à un moment passer complètement aux traits de feutre sur papier, et finalement, j’ai gardé des lavis d’aquarelle gris.
J’apprécie le mélange de formes qui se perdent dans la perspective d’une allée couverte, qui tranche avec les taches de soleil au premier plan. Ici et là des visages entraperçus, des objets suspendus, et l’architecture complexe des dessus de porte en bois.
Epilogue
Le tableau est terminé
C’est un grand format de 50x42 cm. J’avais agrafé la feuille mouillée sur une planche pour la tendre, cela m’a été bien utile pour que les lavis ne gondolent ma feuille et ne ruinent les dégradés.
Ce tableau totalise 50 heures de travail, dont 35 de peinture. Il a été réalisé en 9 jours dont 2 week-ends. Comme je travaille pendant la semaine, les séances de peinture étaient de 5 à 7 H, puis de 22 à 23H. Une aventure nocturne, dans le silence profond du jour qui se lève.
Ricochet
Ce mardi matin, j’ai donné rendez-vous à Benoît pour lui remettre le tableau dans nos bureaux.
Le soleil se lève sur la Medina en arrière-plan, nous entendons le ricochet d’un clip sur la ville de Casablanca.