Le numéro 22 de l'Art de l'Aquarelle est paru en septembre 2014.
Les gagnants parmi les 23 finalistes du concours mondial de l'aquarelle nous sont enfin révélés.
Nous rencontrons le malaisien Lok Kerk Hwang qui peint des objets domestiques. Plusieurs portraitistes sont au sommaire: Sylvie Griselle, les américains David Lobenberg et Linda Doll. Nous parcourons l'univers d'artiste de Nicholas Phillips et levons le voile sur une partie de ses techniques.
Après une visite à l'atelier de rouille et de fer de Peter Jablokow, promenade d'automne avec le paysagiste britanique Joe Dowden, et parcours des sentiers de l’Histoire des Alpes Maritimes avec le couple Bernard Alunni et Christine Lemayeur.
L'actualité
Salon Confluences d'Aiguillon
19 octobre au 2 novembre 2014
Les 3 invités d’honneur de cette année sont bien connus des aficionados du circuit de l’aquarelle : ils ont pour nom Sonia Privat, Keiko Tanabe et David Chauvin. Ont également été conviés deux invités exceptionnels : la Belge Gerda Mentens et l’Espagnol Pedro Orozco (voir ADA 19).
le Festival international de l’aquarelle à Aiguillon va intégrer dans son panel, outre l’aquarelle et le carnet de voyages (depuis deux ans) une nouvelle corde à son arc, avec la mise en place d’un vrai marathon du croquis. Le “sketchcrawl” est habituellement organisé sur un jour et quatre fois par an ; cette manifestation se déroule à la même date à travers le monde entier.
Watercolor West soutient l’aquarelle transparente
Dans l’ouest des États-Unis, les artistes de l’école californienne d’aquarelle ont été une grande source d’inspiration. Les peintres ont commencé à se rassembler pour partager leurs idées et montrer leurs oeuvres ; cela a ensuite débouché sur des sociétés d’aquarelle, dont Watercolor West.
La Watercolor West Society continue à honorer la tradition de l’aquarelle transparente. Une des caractéristiques de la technique de l’aquarelle est sa transparence, qui laisse briller le papier à travers un voile de couleur.
World Watermedia Exhibition, Thaïlande
Le bureau de l’art contemporain et de la culture et le ministère de la Culture ont sponsorisé et soutenu cette manifestation internationale de toutes les manières possibles.
L’exposition a présenté 289 aquarelles peintes par 116 artistes du monde entier, dont 30 artistes thaïlandais.
J’ai beaucoup aimé cette salle, ainsi que son éclairage. Cette photo a été prise vers minuit, douze heures avant la cérémonie d’ouverture – ce qui explique pourquoi il n’y a personne.
Révélations
Le Français Olivier Bartoli, portraitiste.
Ma démarche ? Explorer la frontière entre l’image réelle et la subjectivité du sujet, voilà mon chemin. Partir de la simplicité d’un regard, c’est comme commencer par les trois couleurs primaires, débuter d’une pauvreté qui devient richesse. Que le portrait soit homme ou femme, enfant, adulte ou vieillard, y découvrir l’humanité de chacun, joies et peines, doutes et foi, et les partager avec celui qui regarde. Dans un monde en crise de relation, dans une société gangrenée par le pessimisme, redonner un regard positif et profond sur les personnes. Croire en l’humanité de chacun. Mes sujets sont donc très variés en âge et en provenance, du moment qu’ils aient quelque chose à me raconter, quelque chose que je pourrai ensuite traduire et interpréter pour les autres.
Pour y parvenir, je choisis peu de couleurs (1 jaune, 2 rouges et 2 bleus) et travaille en sec ou en humide. Guidé par les idées de Jeanne Dobie, je commence toujours par les jaunes, puis les rouges, pour finir par les bleus pour les contrastes. J’ai toujours du mal à m’arrêter ! Je me pose souvent les mêmes questions et y réponds par moi-même ou dans des discussions sur Facebook avec mes amis peintres. C’est comme ça que j’avance…
P 16 Olivier Bartoli
L'Américaine Kara Castro, peintre réaliste.
Enfant, je jouais dans la cour de mon ami Mark. Mark passait son temps à créer tout un monde à l’aide de galets, de boue et de canettes de bière. Tous ces objets, ainsi que la neige, on les trouvait en abondance dans la campagne du Michigan. Quand la neige fondait, on canalisait l’eau de façon à ce qu’elle mette les cannettes en branle, et ainsi nous leur faisions faire la course. C’est là que j’ai appris à connaître les réactions de l’eau. J’ai aussi découvert quels types de sols étaient absorbants, et comment sculpter la terre de manière à repousser ou à transporter l’eau. C’est la manière dont je peins aujourd’hui.
P 17 Kara Castro
Je fais circuler l’eau sur la feuille comme je le faisais alors. Quand je verse du pigment et de l’eau sur mon papier, cela revient à lire la surface et à l’amener à accepter ou relâcher l’eau qui transporte la couleur. Dans mes oeuvres, je choisis mes objets en fonction des ombres qu’ils provoquent. Les objets en métal massif donnent des ombres dures qui ont l’air lourdes. De simples traits tracés au crayon sont tracés sur la feuille d’aquarelle.
Chaque peinture a besoin de quelque chose de différent : les pigments opaques peuvent servir pour une surface destinée à accueillir des détails, comme des caractères sur la page d’un livre. Sur certaines zones, travailler du foncé au clair est mieux. Sculpter les pigments épais et les retirer après qu’ils se sont répandus donne des contours flous à la page d’un livre ou à du verre dépoli. Quelquefois, travailler du clair au foncé est requis. Vous voyez, je ne suis pas vraiment de règles.
Les objets que je choisis de peindre sont surtout ceux qui vont me donner cette composition jusqu’à ce que l’ombre tombe là où je le voulais.
Le Polonais Micha Jasiewicz, paysagiste.
Je suis architecte et peintre à la fois – la peinture est une passion en même temps qu’un style de vie. Contrairement à ce que j’ai appris pendant mes études d’architecture, je perçois l’aquarelle comme un type d’art davantage que comme un style graphique. Je fais fréquemment apparaître des éléments architecturaux dans mes oeuvres, bien qu’ils ne soient pas représentés directement : ils font en général partie d’un paysage plus large. La coexistence d’un paysage naturel et de manifestations humaines me permet de créer une vision du monde à la fois réaliste et poétique, aussi insaisissable que la lumière changeante ou que les saisons de l’année. Mes oeuvres sont souvent inspirées par un rai de lumière sur une façade, la surface miroitante de l’eau ou le ciel gonflé de nuages plutôt que par un objet particulier.
P 18 Micha Jasiewicz
Il m’est difficile de définir ma technique. Elle ne cesse d’évoluer, tout dépend du motif, de mon humeur du moment… J’essaie d’expérimenter et d’emprunter de nouvelles voies autant que possible.
L’aquarelle, cela doit être amusant ! Peindre me procure de la joie : je ne supporte pas de m’ennuyer et de travailler dans un cadre établi. L’aquarelle est une technique quelque peu imprévisible ; on doit lui donner de l’autonomie et la laisser faire la moitié du travail. On ne peut pas contrôler chaque détail, car cela tue son plus grand mérite : sa spontanéité et sa fraîcheur.
L'Américain Frank Spino, publicitaire converti aux beaux arts.
J’ai passé une bonne partie de ma vie à mettre mon énergie et mon talent au service d’autres personnes. En tant que créateur de panneaux publicitaires, j’ai travaillé pour des clients. En tant que peintre de panneaux d’affichage, j’exécutais les directives du service création et du marketing. Aussi, il y a quelques années de cela, j’ai décidé qu’il était enfin temps pour moi de découvrir ce à quoi je pouvais parvenir si je consacrais toute mon énergie aux beaux-arts.
En 2009, j’ai entrepris de peindre ma première véritable aquarelle. Dieu nous a gratifiés d’un monde magnifique et diversifié. Je vois la beauté dans chaque rayon de lumière qui tombe sur une feuille verte virevoltant dans le vent. Mes oeuvres constituent une tentative de décrire ce qui nourrit mon âme. Si j’y réussis, alors ce qui me stimule éveillera aussi l’intérêt de mes spectateurs.Mon but est de peindre avec les couleurs adéquates et des compositions intéressantes qui font partager un moment, qui racontent une histoire, et qui vont émouvoir le spectateur comme moi je l’ai été. Cela, pour moi, est une peinture réussie.
P 19 Frank Spino
La troisième de mes aquarelles et ma première œuvre sur les agrumes
L.K.Hwang
Entretien avec Lok Kerk-Hwang
Les charmes cachés des objets du quotidien
L’ARTISTE D’ORIGINE MALAISIENNE LOK KERK HWANG S’EST IMPOSÉ SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE AVEC SES TABLEAUX D’OBJETS DE LA VIE COURANTE TRANSFIGURÉS EN OEUVRES D’ART UNIVERSELLES.
À mes yeux, le plus grand défi de l’aquarelle est que lorsque j’arrive à obtenir quelque chose d’incroyable, que ce soit par des effets mouillé sur mouillé, au pinceau sec ou en apportant des rehauts sur des détails, ce que l’on ressent alors est tout simplement inexplicable. C’est une sensation très plaisante.
Quelle que soit la quantité d’esquisses de composition ou d’études de tonalités que je peux faire au préalable, il y a toujours une part d’imprévisibilité qui arrive au cours de la peinture – quelque chose que tous les aquarellistes ont pu expérimenter. Bien sûr, c’est en peignant que l’on arrive à mesurer ses échecs, et c’est cela qui me pousse à tenter de devenir un meilleur artiste. De plus, chaque oeuvre est unique, il est impossible de la répéter exactement, et c’est là aussi le charme de l’aquarelle.En revanche, le vrai plaisir de l’aquarelle est le fait de me dire que je peins à l’aide de la technique la plus difficile et complexe qui soit ; technique grâce à laquelle je peux créer une illusion réaliste sur une simple feuille blanche et berner les yeux des spectateurs. À mon sens, une belle aquarelle réaliste est tout à fait capable de rivaliser avec l’huile en termes de contours, de passage de valeurs et de couleurs. Mais je pense aussi que l’aquarelle est plus délicate.
P 22-25 Lok Kerk-Hwang
Tableau à la loupe : Morning Song n°6
Mon inspiration :
Il y a dans ma ville un magasin de réparation de bicyclettes ; son propriétaire a 80 ans et il travaille toujours pour ses clients. Son magasin était mon terrain de jeu quand j’étais enfant et, aujourd’hui encore, c’est là que je trouve l’inspiration pour la plupart de mes sujets. Je commence par observer et étudier l’arrangement spatial de la boutique ; je reviens ensuite la visiter à plusieurs reprises à des heures différentes afin de trouver le point de vue et les ombres qui m’intéressent le plus.
Le choix de composition :
Si vous comparez côte à côte la photo et mon tableau, vous constaterez que je n’ai pas changé grand-chose à la composition. La décision s’est prise sur le champ en voyant le sujet. J’ai choisi de changer la gamme de couleurs et les zones de haute lumière afin d’attirer le regard. J’ai décidé aussi de ne pas représenter le fond à cause de sa complexité et je voulais que le spectateur se concentre sur les sujets principaux : l’inscription sur le mur, les pneus et les vélos. De plus, j’ai utilisé des gestes amples afin de réduire l'importance des outils au premier plan.
La méthode de travail :
Si 70 % de la composition a été faite grâce à l’appareil photo, 20 % du travail consiste à perdre le fond confus et à centrer le toit. Je souhaitais mettre avant tout l’accent sur les panneaux, les pneus et les vélos. Les 10 % restants ont consisté à constamment me rappeler de ne pas trop peindre la machine au premier plan.
Pas de sens caché :
Ce tableau ne possède pas de sens ou de symbolisme particulier. Je ne cherche qu’à rendre, à l’aide de mes coups de pinceau, la beauté de quelque chose qui a tendance à disparaître de nos paysages, et particulièrement de ma ville natale.
Diagonales :
La diagonale joue un rôle très important dans la composition. Si vous l’enlevez, la partie inférieure prend trop d’importance par rapport à la partie supérieure ; il est donc nécessaire d’avoir cette oblique qui équilibre les masses. Cette diagonale permet aussi de guider l’œil du spectateur vers les vélos.
Ma palette de couleurs :
Mon nuancier tourne autour des trois primaires (jaune, rouge et bleu) ainsi que des couleurs obtenues en les mélangeant entre elles. J’ai choisi de l’ocre jaune pour le mur et un bleu outremer pour le vélo comme mes deux couleurs principales, car, ensemble, elles forment un duo plaisant à l’œil. De la terre de Sienne brûlée a été utilisée pour créer les marques sur les murs, rendre le bois et les pneus.
Symphony of Rust n° 8. 2014. 51 x 36 cm
Ce tableau est l’un de mes préférés de ma série « Rust ». J’ai démarré cette thématique il y a une dizaine d’années environ et j’ai encore plein d’idées pour de futurs tableaux. Les objets rouillés sont des choses vraiment négligées de nos jours et j’ai essayé, à travers l’aquarelle, de montrer la beauté qu’ils peuvent avoir.
Symphony of Rust n° 5. 2006. 36 x 51 cm
J’aime peindre les belles choses autour de moi, sans me soucier de savoir si cela plaira à un collectionneur ou un galeriste.
Beauty of Arrangement n° 2. 2002. 56 x 76 cm
J’ai choisi de montrer cette aquarelle pour trois raisons. La première est le sujet lui-même : il s’agit de vieux casiers de pêche, abandonnés dans un marché. Tous les matins, en allant au travail, je passais devant. Depuis, ces casiers ont brûlé dans un incendie. Les différentes textures et les ombres magnifiques ont attiré mon regard de peintre. Deuxièmement, j’ai réarrangé les formes pour créer plus de profondeur. Tous ces éléments ont été obtenus à partir de mes photographies de la scène, prises sous différents angles. Troisièmement, je suis arrivé à rendre les différentes textures du bois usé en employant des techniques sèches et humides.
N. Phillips
Nicholas Phillips
Le sens de la mise en scène
AU COMMENCEMENT, IL Y A LA PHOTO. PRENANT POUR POINT DE DÉPART DES SOUVENIRS D’ENFANCE OU DES IDÉES GLANÉES DANS DES LIVRES OU DES FILMS, NICHOLAS PHILLIPS MÊLE DANS SES PRISES DE VUES DES OBJETS HÉTÉROCLITES QUI SERVENT SON SCÉNARIO.
AU GÉNÉRIQUE, DES MODÈLES SAISIS DANS UNE SÉQUENCE NARRATIVE, COMME AUTANT D’ACTEURS D’UN FILM IMAGINAIRE… ET QUE L’AQUARELLE VIENDRA FIXER SUR LE PAPIER POUR L’ÉTERNITÉ.
Il est intéressant de comparer le cinéma et la peinture en tant que genre artistique. Les réalisateurs ont tellement de matière avec laquelle jouer pendant 90 minutes – combien d’images fixes cela peut-il bien faire ? – la musique, les dialogues… Le peintre, en revanche, n’a qu’un cadre, une seule image fixe, et il ne possède comme outils que sa peinture et sa composition.
Pour Beauty Coming Down (voir p. 30-31) comme pour mes autres peintures, une idée ou une réfl exion sur une situation donnée ou un événement difficile est toujours le point de départ d’un tableau. Le déclic peut être quelque chose de très anodin, comme un objet : des volets (Chulia Street, ci-dessus), un téléphone (1415 Local, p. 28), une lettre adressée à l’entreprise de mon grand-père (Penang Turf Club, ci-contre).P 31 Nicholas Phillips
Une scène va ensuite se construire autour de cette idée : un ensemble de circonstances possibles, un personnage, un instant. En fait, la mise en scène lors de la prise de vue constitue véritablement la partie créative de mon travail, car je dois penser à la composition de mon image, à ce que je dois garder, ce que je dois enlever.
Réaliser la peinture d’un autre côté est plus un travail qu’autre chose, avec un nombre d’heures conséquent : au bout du compte, je ne fais que simplement copier une photo. Je ne ressens pas le besoin d’imposer ma personnalité ou mon côté artistique lors de ce processus ; d’ailleurs, la composition n’aurait pas pu être obtenue sans l’aide d’un appareil photo. Tout autre intervention – ajout de la signature au pinceau, par exemple – serait hors de propos ou détournerait l’attention.
Aussi, vous vous poserez peut-être la question : pourquoi ne pas s’arrêter à l’étape de la photographie ? La réponse se trouve dans l’aquarelle finie : c’est une chose unique, avec sa propre enveloppe physique ; des pigments illuminés par la blancheur du support papier. J’espère que c’est un instant de beauté.
IL EXISTE UN GENRE DANS LA PEINTURE JAPONAISE APPELÉ « BIJIN-GA » ET QUI A POUR SUJET LA REPRÉSENTATION DE LA BEAUTÉ FÉMININE (« BIJIN »). DANS CE TABLEAU, L’IDÉE ÉTAIT DE MONTRER CE MOMENT OÙ L’ON QUITTE LA SCÈNE PUBLIQUE, OÙ LE COSTUME DÉLICAT ET PRÉCIEUX SE RELÂCHE, OÙ L’ON ENLÈVE SON MAQUILLAGE. LA SOIRÉE A-T-ELLE ÉTÉ UN SUCCÈS ? UN ÉCHEC ? OU BIEN UNE SIMPLE RÉPÉTITION ?
LA PRISE DE VUE
La séance photo nécessite plusieurs heures. C’est une expérience qui est un peu éreintante. Bien que je contrôle tous les éléments – le costume, la lumière, les postures du modèle, etc. – le hasard joue toujours un rôle important et significatif : il suffit que la tête se tourne, d’une mise au point particulière, d’une goutte d’eau. C’est là une des choses merveilleuses du travail d’après photo : ce n’est que grâce à lui que l’on peut saisir ces moments purement aléatoires. C’est en fait la rencontre fortuite entre la prévoyance et la chance.
LA CONDUITE DE L’OEUVRE
Je commence par décalquer mon dessin avant de le poursuivre à l’aide de crayons aquarellables. Je monte très délicatement mes tons tout en lavant progressivement mon dessin. Le résultat final donnera l’impression d’une image qui apparaît de nulle part. Pour moi, c’est là que réside la vraie magie de l’aquarelle : une accumulation de lavis, sans traces de pinceau visibles, sans contours apparents mais flous et le blanc du papier conférant au tableau une luminosité interne.
LE MODÈLE
Je choisis généralement comme modèles des personnes que je connais, même s’il m’arrive aussi de demander parfois à de parfaits inconnus de poser pour moi. Ici, j’ai choisi une autre artiste, Akiko Ban.
LA MISE EN SCÈNE
En fonction de la scène que je souhaite mettre en place, je peux construire un décor. Pour Penang Turf Club (voir p. 26), par exemple, j’ai dû construire tout un décor en carton. Dans le cas de ce tableau-ci, je savais que je ne pouvais pas construire un décor intérieur crédible de l’époque Edo, aussi j’ai décidé de choisir un point de vue en plongée et les six tatamis empruntés constitueraient l’intégralité de mon arrière-plan. En fait, il s’est avéré que cet angle de vue et ce choix de perspective renforçaient l’impact de mon oeuvre, tout en donnant une impression de cadrage flottant qui rappelait les gravures sur bois ukiyo-e.
PEINTURES
Je peins toujours avec des aquarelles Winsor & Newton en tube. En règle générale, je choisis des aquarelles transparentes et j’évite les couleurs granuleuses.
PAPIER
Quant au papier, je trouve que l’Arches 300 grammes grain satin est le plus approprié – son encollage général me permet de revenir sur mon travail à plusieurs reprises.
PINCEAUX
J’ai quelques martres Winsor & Newton pour mes grands lavis, j’aime bien sinon les pinceaux Pro Arte Prolene + de toutes les tailles, y compris 0000.
P.Jablokow

Peter Jablokow
De rouille et de fer
L'Américain Peter Jablokow est un illustrateur architecte de formation que nous avons retrouvé dans son atelier.
Il a une technique particulière pour texturer ses peintures: à l’aide de ruban à masquer, il masque une partie de la peinture avant de découper la forme exacte avec un cutter X-Acto pour obtenir une zone de travail très précise.
Dans les parties de la composition qui sont fluides et en mouvement, il fait gicler des couleurs avec une brosse à dents jusqu’à ce que la feuille soit saturée, puis il incline celle-ci dans tous les sens pour que les couleurs fusent et se mélangent. Là où plus de texture est demandée, il projette du fluide à masquer avec une brosse à dents ou un atomiseur à bouche, avant de charger la brosse à dents en couleur.
Si les trains m’attirent, c’est pour leur côté massif et imposant. Ce sont des témoins de notre passé, mais maintenant ils rouillent, abandonnés à leur destin, leurs entrailles exposées au regard du spectateur. J’aime le défi posé par la représentation de cet ensemble chaotique de tuyaux, câbles, soupapes, engrenages et vis. J’aime aussi le pari de recréer à l’aquarelle cette texture arbitraire, le résultat de l’effet du temps qui passe. J’admire les artistes qui réussissent ce même pari. Un vieux projecteur de cinéma, le mouvement d’une horloge, un bâtiment à l’abandon ou une mine désaffectée sont autant d’autres sujets potentiels qui véhiculent cette même ambiance et j’ai l’intention de les peindre par la suite. De nos jours, les machines sont lisses, proprettes et ennuyeuses : elles ressemblent de ce point de vue à l’illustration architecturale d’un immeuble moderne.
Lorsque je pars à la recherche d’un sujet, ce n’est pas pour faire passer un message ou raconter une histoire. Je veux trouver une image, une possibilité de composition qui me captive : une impression de torsion, de poids ou un équilibre instable. Je m’intéresse aux questions d’échelle, au mouvement. Je place souvent l’appareil par terre, et je photographie par en dessous pour amplifier cette sensation d’une masse imposante au-dessus de l’objectif. Je prends des centaines de clichés sous tous les angles. De retour chez moi, je passe en revue ces images à la recherche de celle qui va me sauter aux yeux. Il y a toujours des surprises : je ne m’obstine pas à croire que celle qui me semblait parfaite in situ sera le mieux à même de faire une peinture réussie.P 32 Peter Jablokow
Lorsque je choisis mon sujet, je suis à la recherche d’une source de lumière forte, d’une lumière qui va créer des ombres nettes et bien marquées et, je l’espère, des taches lumineuses sur l’ensemble de ces pièces mécaniques, ainsi que des reflets lumineux riches et variés. La contre-plongée est un angle de vue idéal pour saisir ces refl ets, que j’essaie ensuite de mettre en valeur dans mes compositions. Ce sont les ombres et les reflets de lumière qui définissent au mieux les formes, ce qui explique leur importance dans mon travail.
A propos de Engine 8380- Nose
C’est le sommet de ce que je peux faire en termes de couleurs poussées au maximum.
La formule simple que j’ai appliquée est la suivante : jaune auréoline pour les zones chaudes, bleu manganèse pour les froides, outremer et terre de Sienne brûlée pour les sombres.Lorsque je choisis mon sujet, je suis à la recherche d’une source de lumière forte, d’une lumière qui va créer des ombres nettes et bien marquées et, je l’espère, des taches lumineuses sur l’ensemble de ces pièces mécaniques, ainsi que des reflets lumineux riches et variés. La contre-plongée est un angle de vue idéal pour saisir ces reflets, que j’essaie ensuite de mettre en valeur dans mes compositions. Ce sont les ombres et les reflets de lumière qui définissent au mieux les formes, ce qui explique leur importance dans mon travail.
Comparée à mon dessin technique serré et empli de contraintes, ma peinture me semble arbitraire et chaotique.
Je profite de mes voyages professionnels et de mes vacances pour chercher là où je me trouve. Une fois un sujet potentiel identifié, je prends des centaines de photos sous tous les angles, en espérant qu’au moins une sortira du lot. Quel plaisir que de tomber sur un train en extérieur, dans un musée ou abandonnée dans les bois : ainsi il sera rouillé et tout tordu !
Au mois de juin l’année dernière, je me suis frayé un chemin à travers des fourrés denses, remplis d’épines, de branches pointues et de sumac vénéneux à la recherche d’un train caché dans les bois près de Galt, dans l’Illinois. Heureusement, après tous ces efforts, j’ai ramené un bon cliché, mais comme d’habitude pas celui auquel je m’attendais.
Lorsque je choisis mon sujet, je suis à la recherche d’une source de lumière forte, d’une lumière qui va créer des ombres nettes et bien marquées et, je l’espère, des taches lumineuses sur l’ensemble de ces pièces mécaniques, ainsi que des reflets lumineux riches et variés. La contre-plongée est un angle de vue idéal pour saisir ces reflets, que j’essaie ensuite de mettre en valeur dans mes compositions. Ce sont les ombres et les reflets de lumière qui définissent au mieux les formes, ce qui explique leur importance dans mon travail.
A toute vapeur Pas à pas
Après un dessin ultra-détaillé, première grande étape : je sépare la peinture en deux, gardant les zones claires en blanc et ajoutant diverses couleurs aux zones plus sombres.
La mise en couleur terminée, je commence à définir les sombres. Pour cela, la couleur des roues arrière me sert de modèle.
J’atteins ici le moment où je dois prendre des décisions cruciales et faire en sorte que cette peinture fonctionne. Comme je rechigne à remplir les zones claires du train, je prends mon oeuvre en photo et l’importe dans Photoshop. J’ajoute du bleu aux zones claires pour en vérifier l’effet.
J’ai donc fini par peindre en bleu les zones claires, mais elles sont maintenant trop foncées. Pour revenir au blanc du papier, je les masque au ruban de masquage, les frotte énergiquement à la brosse à dents, et les repeins en plus clair (voir astuce en haut à droite). Si j’avais juste éclairci le lavis existant, je n’aurais pas eu cette fraîcheur dans la teinte.
S. Griselle
Entretien avec Sylvie Griselle
Des portraits en pleine lumière
Retraitée de l'éducation nationale en 2011, Sylvie Griselle a trouvé l'inspiration sur un portrait de Stan Miller représentant un homme à barbe blanche, portant des lunettes (nous supposons qu'il s'agit de Nick's gaze). Portraitiste accomplie, elle aime montrer des visages ou des scènes représentant des peuples qui ont gardé une certaine authenticité ou un mode de vie étranger au nôtre.
Dès mon plus jeune âge, j’ai aimé dessiner, en particulier des personnages généralement issus de bandes dessinées que je m’amusais à reproduire. Mais ce n’est qu’en 1974, j’avais alors 23 ans, que j’ai éprouvé le besoin de prendre des cours de peinture. Auparavant, je m’étais essayée à l’huile, mais dès le premier cours dispensé par l’aquarelliste Rémy Kail, localement très connu à cette époque, j’ai été fascinée par son apparente facilité à représenter un paysage, la transparence et l’atmosphère qui se dégageaient de ses oeuvres.
Pour moi, le portrait n’est intéressant que s’il fait transparaître la personnalité et la pensée du modèle. Mais l’interprétation que j’en fais est indissociable de ma propre sensibilité. Ainsi, si on me demande le portrait d’une personne précise, la ressemblance est absolument nécessaire, mais elle ne m’interdit pas le choix de la posture et d’une
Pour les autres tableaux, je peux m’exprimer avec beaucoup plus de liberté. Le plus important n’est plus obligatoirement la ressemblance avec une personne donnée mais bien plus le partage d’une émotion.
P 68 Sylvie Griselle

Sur un air de violon, 56 x 76 cm
Aquarelle sur papier Arches grain fin 300 g
Pour moi qui peins de manière réaliste, il existe plusieurs aspects délicats dans le portrait. Le dessin d’abord : après avoir choisi le modèle et la composition, je dois lui accorder une attention toute particulière. Je le veux précis et dans le respect des proportions, car c’est lui qui va m’aider à guider mon pinceau. Puis vient la peinture : il faut qu'elle donne vie au sujet, un portrait n’est pas une photographie.
J’apporte une importance essentielle au regard, miroir de l’âme de mes personnages. Aux mains, dont la position et les volumes m’aident à créer l’illusion d’un mouvement et dévoilent l’humeur, la pensée, parfois la condition sociale de mes personnages.
Quelquefois, je fais des esquisses (sorte de montage) pour une meilleure composition et un équilibre plus juste. Ceci me permet, à partir d’une idée de base, de construire des personnages retenant pour l’un l’habillement, pour l’autre le visage ou l’expression, parfois l’environnement dont j’ai besoin.
Le travail dans l’humide demande une bonne maîtrise de la fusion des couleurs. Je commence donc toujours par poser les premiers lavis dans l’humide qui vont créer l’ambiance générale en prenant soin de réserver les blancs là où c’est nécessaire. Et je prends un soin particulier à choisir les couleurs de la carnation de mes modèles, car ce sont elles qui vont m’aider à donner vie au portrait. Au fur et à mesure que le papier sèche, je travaille les yeux (j’estompe les coups de pinceau à l’aide d’un spalter pour apporter plus de douceur)puis les ombres en remouillant si nécessaire le papier à l’aide d’un vaporisateur.
Le papier Arches est mon support habituel sur lequel il est parfois difficile d’ouvrir des blancs : c’est un papier qui absorbe les pigments et qui sature assez vite. Je m’essaie donc actuellement à d’autres marques pour découvrir d’autres effets.
Sagesse ou Malice
Ce tableau, qui représente un vieux Népalais, attire dans un premier temps le regard par la lumière qui jaillit de la gauche en estompant l’habit et une partie du visage et des mains du modèle pour le guider rapidement vers l’élément central, à savoir le visage de cet homme âgé. Cette lumière permet de mettre en valeur l’étincelle amusée du regard, le sourire gentiment moqueur qui traduisent un sentiment de bienveillance et de sagesse.
Le personnage se sait observé mais n’exprime aucune gêne, on dirait même qu’il pose. L’empathie et la complicité qu’il nous témoigne nous donnent même l’impression que c’est lui qui nous observe. Voilà la raison essentielle pour laquelle j’ai choisi ce tableau, et apparemment le public y a été aussi sensible que l’ont été mes proches.
Lemayeur & Alunni
Marie-Christine Lemayeur et Bernard Alunni se sont rencontrés lors de leurs cinq ans d’études à l’École nationale des Arts décoratifs de Nice (Villa Arson). Ils ne se sont dès lors plus quittés et ont surtout quasiment toujours travaillé ensemble. Ils ont par la suite exposé ensemble leurs oeuvres personnelles, souvent mêlées à leurs illustrations documentaires.
À partir de 1987, Bernard Alunni et Marie-Christine Lemayeur se spécialisent dans l’illustration pour la publicité ainsi que, dans une moindre mesure, dans l’illustration de jeux de rôle et de plateau. Dès 1994 et jusqu'à aujourd’hui, le couple se tourne vers l’illustration documentaire, principalement pour les livres jeunesse (notamment les éditions Fleurus Enfant, mais aussi Larousse, Beaumont/Cerf-Volant, Kid Pocket et Pocket Jeunesse, le Parc national du Mercantour…) ainsi que pour l’Office du timbre-poste de Monaco.
Depuis toujours, nous sommes passionnés par l’Histoire.
La préhistoire, l’Antiquité et le Moyen Âge nous fascinent et ont souvent influencé notre création. Étant aussi de fervents randonneurs, nos pas nous ont ainsi conduits à côtoyer les vieilles pierres et à nous interroger sur l’histoire de cette région où nous étions nés. Ces vestiges étant souvent construits sur des hauteurs, loin de tout, au milieu de paysages extraordinaires, nous avons été subjugués par la beauté de ces lieux chargés d’histoire et par leur charme romantique. C’est ce qui nous a poussés d’abord à peindre puis à réaliser ce livre pour lequel la difficulté a été de trouver un éditeur qui accepte ce pari de mêler art, histoire et balades… Ce livre, ainsi que les aquarelles qui s’y rapportent, est aussi un hommage aux hommes du passé qui ont édifié et vécu en ces endroits aujourd’hui abandonnés.
C’est aussi le désir de faire découvrir ce patrimoine, que pour la plupart peu connaissent, mais aussi de mieux appréhender la riche et complexe histoire des Alpes-Maritimes.
Nos aquarelles ont été réalisées au gré de nos balades et surtout de notre inspiration. Les lieux ont été choisis en fonction des bâtiments encore sur place, des vestiges les plus visibles, de leur esthétique et de l’émotion ressentie. Ensuite, lors de la réalisation du livre sur les sentiers de l’Histoire des Alpes Maritimes, un tri s’est opéré en fonction de l’historique des lieux et de ce que l’on pouvait en raconter.
P 86 Marie-Christine Lemayeur et Bernard Alunni
L’aquarelle nous permet en outre de travailler de façon plus spontanée que notre travail habituel à l’acrylique, tout en conservant un grand souci du détail. Rigueur et liberté sont les deux mots qui synthétisent bien notre vision de l’aquarelle.
Notre objectif était de faire une sorte d’état des lieux le plus précis possible de chaque site ; il nous est donc apparu tout à fait naturel d’opter pour des représentations très réalistes, tout en essayant d’insuffler, par le prisme de l’aquarelle, une aura poétique fidèle à l’émotion que nous avons ressentie sur place.Au final, il nous a fallu à peu près deux ans de travail, entre les recherches historiques et l’exécution des aquarelles. Couvrant une très large période, puisque nous allons de la préhistoire (-400 000 ans) jusqu'aux XVIe-XVIIe siècles, nous avons dû aussi représenter des sites auxquels nous n’avions pas pensé au préalable, mais emblématiques de leur époque et donc incontournables...
Depuis notre rencontre aux Arts Décoratifs, nous travaillons toujours de concert. Un mimétisme pictural s’est accompli au fil du temps, même si certains arrivent encore à deviner qui fait quoi (sans regarder la signature !). Il est difficile pour nous de savoir ce qui nous caractérise l’un l’autre. Peut-être Marie-Christine est-elle plus sensible aux couleurs, tandis que je privilégie davantage les contrastes. Notre osmose, notre fusion dans la vie trouve ainsi son prolongement naturel dans le travail.
En illustration, il nous arrive parfois de travailler à quatre mains (à deux mains seraient plus juste car nous ne sommes pas ambidextres !), lorsque l’urgence se fait sentir ou par rapport aux préférences de chacun.
J.Dowden
Peindre un paysage d'automne avec Joe Dowden

Joe Dowden est un artiste britannique qui nous livre ses secrets pour retranscrire sur la feuille la majesté des paysages automnaux.
Il a eu à ce jour seize expositions personnelles, aussi bien en Grande-Bretagne qu’à l’étranger. Ses œuvres ont été récemment exposées en Thaïlande, à l’occasion de la World Watermedia Exhibition (lire p. 14). Il a également publié huit livres sur l’aquarelle ; ses compétences techniques ont également été sollicitées par la presse et la télévision britanniques.
Pour représenter les tonalités chaudes et dorées, j'utilise des couleurs telles que l’or de quinacridone, l’or vert, la gomme-gutte afin de rendre la chaleur dans la couleur. Cette palette inclut aussi de la terre de Sienne brûlée, que j’utilise souvent. Ces couleurs chaudes sont ajoutées à mes verts.
Pour moi, une peinture, c’est 95% de valeurs et 5% de couleurs. Et la chose la plus importante est la lumière. Elle ne vient pas des couleurs, mais bien des valeurs. Une des plus grandes difficultés pour les amateurs qui apprennent à peindre est de chercher à rendre la lumière par la couleur. J’utilise la gamme la plus large possible de valeurs, depuis le blanc du papier jusqu’aux tons les plus sombres.
J’aime peindre sur le motif et j’aime aussi prendre des photos. Ce sont deux formes d’art à part entière. Pour moi, un appareil photo est du soleil en boîte. Je m’en sers pour capturer la lumière. Et ce qui est éphémère. Bien souvent, je prends de nombreux clichés avant de faire un tableau ; mes sujets sont enregistrés dans mon appareil. Et à propos de peinture sur le motif, je viens tout juste de rentrer d’un séjour où j’ai pu peindre avec des artistes du monde entier. L’un des peintres dont j’ai appris à aimer le travail est Ong Kim Seng– un puriste de l’aquarelle qui ne peint que sur le motif et qui, en moins d’une heure, est capable de saisir l’essentiel d’une scène et de restituer sa lumière.
P 72 Joe Dowden
Voici comment je traite les feuillages dans mes œuvres :
- Avec la pointe d’un pinceau bien chargé en peinture, je laisse tomber des éclaboussures du bas vers le haut de la feuille. Au fur et à mesure que le pinceau se décharge de sa couleur, les gouttes projetées deviennent de plus en plus petites, donnant ainsi une illusion de perspective. Il s’agit d’un procédé aléatoire mais structuré.
- Je commence, à l’aide d’un pinceau à lavis, à faire des projections d’eau. En entrant en contact avec la feuille, ces gouttes prennent une forme étoilée. Cela permet de créer non pas les feuilles, mais les espaces sombres entre les feuilles. En projetant ensuite des éclaboussures de peinture liquide sur des taches d’eau propre, on obtient des dessins et des rythmes de forme particulièrement sophistiqués. En procédant ainsi sur plusieurs couches, et en attendant que chacune sèche avant d’appliquer la suivante, on peut obtenir des feuillages parfaits de la manière la plus artistique qui soit.
Cette méthode constitue un bon équilibre entre le contrôle et l’imprévisibilité. De plus, des événements aléatoires peuvent survenir sans que ceux-ci risquent de gâcher la peinture. Ces éclaboussures imitent en fait les forces de la gravité et rendent compte de l’effet du vent qui a distribué les graines qui ont créé les plantes. Les espaces en forme d’étoile donnent un sentiment de vide entre les feuilles. La perspective peut être rendue de cette manière. Une telle technique nécessite cependant, pour être bien assimilée, d’avoir quand même des compétences artistiques car elle est assez sophistiquée. Et en même temps, il n’y a plus de traces de la main sur la feuille, ce qui peut me plaire.
L.Doll

Simplifier les formes avec Linda Doll
Linda est actuellement Présidente et membre à vie de la National Watercolor Society, elle a siégé au comité et est juge de l’American Watercolor Society et a également fait partie du comité de Watercolor West (voir page 10).
L'artiste américaine a fait des scènes de plage son sujet de prédilection. En 10 termes essentiels, elle nous expliquer les fondements de sa vision.
1. ANTÉCÉDENTS
Mon père avait dessiné beaucoup de pastels au cours de la Seconde Guerre mondiale. Assis, il m’expliquait comment rendre la fumée, le feu, l’eau… J’adorais l’écouter parler d’art. J’ai grandi à Brooklyn à une époque où, à cause des épidémies de polio, il était demandé aux enfants de rester chez eux pour se reposer tous les jours entre midi et trois heures. Je passais donc mes journées à dessiner des robes de plage pour mes poupées. Je pense que cela a eu une influence sur mon travail actuel.
2. CORPS
Je préfère peindre des personnages vus de dos ; non pas parce que je ne sais pas peindre les visages, mais parce que j’ai le sentiment que les photos dans les magazines et les publicités mettent déjà trop l’accent sur ceux-ci. Les gens sont beaux, non pas à cause de leur visage, mais grâce à leur beauté intérieure. Le langage du corps et l’histoire qu’il raconte m’ont toujours fascinée : des bras croisés, des mains sur les hanches, une tête relevée, une main dans l’autre main… ce sont ces éléments qui racontent une histoire.
3. DURÉE
Je passe plus de temps sur ma composition que tout autre étape de ma peinture. Je peins plusieurs tableaux en même temps afin que chacun acquière la maturité suffisante. Un tableau complet me prend entre 3 et 7 jours, selon sa complexité. Il est plus fastidieux pour moi de simplifier les formes que de peindre tous les détails.4. FORMAT
Ma prédilection va au 56 x 76,2 cm, un format qui me convient particulièrement bien en atelier. En revanche, sur le motif ou lors de mes démos, je privilégie un format de 56 x 36,6 cm. Je peins sur du papier Arches 600 g grain torchon, dont j’aime la texture qui transparaît à travers mes lavis en aplats.5. LAVIS
Mes peintures se montent par une succession de lavis, chaque couche laissant voir par transparence le précédent. Souvent, mes premiers lavis sont placés sans idée préconçue, ils servent à poser l’ambiance de mes scènes de plage. Le second lavis donne les ombres et les ombres seulement. Quant au troisième, il me sert à placer les tons locaux et les détails.6. MAÎTRES À PENSER
C’est en Californie que j’ai découvert l’aquarelle à un moment où l’école californienne d’aquarelle battait son plein. J’ai ainsi eu le privilège d’avoir pu étudier avec certains des plus grands artistes de cette période : Rex Brandt, Millard Sheets, Joan Irving Brandt, George Gibson, George Post, Milford Zornes, Alex Nepote, Glenn Bradshaw, Edward Betts et Edgar Whitney.
Lorsque je peins aujourd’hui, j’entends encore leurs conseils – Rex Brandt : « Il faut peindre l’adjectif et pas le nom » ; Millards Sheets : « Ne placer jamais exactement la même couleur à différents endroits de votre peinture ; modifiez-la toujours » ; George Post : « Gardez les choses simples ».
C’est à partir des conseils de tous ces maîtres merveilleux que j’ai pu créer mon style propre, élaboré à partir de tout ce que j’ai appris tout en écoutant ma voix intérieure.
7. OMBRES
Je m’intéresse particulièrement aux ombres et je préfère peindre mes personnages à contre-jour. On discerne ce qui est en pleine lumière rapidement mais ce qui est dans l’ombre demande plus de temps pour être vu – et c’est là que l’histoire se passe. Peu de mes peintures arborent du papier vierge de toute couleur, car je préfère des lavis légers dans les zones en pleine lumière. Il ne m’arrive que rarement de laisser du papier blanc ou d’utiliser de la gomme à masquer Winsor & Newton pour préserver mes blancs.8. PINCEAUX
Peu de pinceaux me suffisent : généralement une brosse plate de 4 cm et des pinceaux de taille 10, 12, 14 et 26 sont suffisants. Je change la taille de mes pinceaux en fonction de celle de ma feuille. Cela me permet de garder le même caractère de touche à travers toutes mes oeuvres. J’ai eu la chance de visiter récemment l’usine Escoda en Espagne : j’apprécie tout particulièrement leurs pinceaux synthétiques, qui ont une très bonne rétention d’eau.9. PLAGE
Les personnages sur la plage ne sont que le véhicule utilisé pour étudier les sujets qui m’intéressent. J’ai toujours peint ma propre vie et mes expériences. Après avoir déménagé dans l’État du Montana, le sable a laissé la place à la neige et les personnages ont revêtus des vêtements de ski. Une autre série représentait la différence entre le transparent et le translucide et, partant, le fait que la vie n’est pas toujours ce que l’on croit et qu’il y a parfois des forces souterraines sous la surface des choses.10. SUJETS
J’aime dessiner et les deux endroits que je préfère sont les aéroports et les plages de Californie, où je passe beaucoup de temps à croquer mes personnages. Curieusement, les gens s’habillent à la plage et à l’aéroport d’une façon qu’ils ne le feraient pas ailleurs. C’est presque comme s’ils posaient pour vous. J’ai le sentiment qu’ils adoptent seulement trois ou quatre poses différentes qu’ils répètent ad vitam eternam. Si vous arrivez à saisir l’une d’entre elles, vous parviendrez à capturer votre modèle, même si vous n’incluez pas les détails.
4 étapes clés pour un tableau réussi
Le travail des formes en négatif est quelque chose de très important pour moi, j’y accorde beaucoup d’attention lors de la conception de mon tableau. Je laisse dans ma peinture beaucoup d’espaces vierges.
Ce qui m’intéresse avant tout est de montrer l’interaction entre les personnages.
J’adore les couleurs transparentes et ne peins qu’avec elles.
La plupart de mes oeuvres sont travaillées avec trois couleurs teintantes de chez Winsor : bleu Winsor (nuance verte), rose permanent et jaune Winsor. J’ai devant moi 5 ou 6 godets de jaune, 3 de rouge et un de bleu, afin de pouvoir garder mes jaunes et mes rouges propres.
Un des aspects que je préfère dans l’aquarelle est le mélange des couleurs. Je peux à partir de ces trois primaires obtenir toutes les nuances.
1
Je commence par un lavis sur la feuille qui peut être uniforme ou aléatoire. Je travaille à l’instinct, sans trop me préoccuper de ce qui se passe sur la feuille, je m’assure simplement que je varie les ambiances, les températures de couleurs, etc.
2
Ensuite, je compare mon esquisse à la douzaine de feuilles ainsi préparées et je choisis celle qui s’accordera le mieux à l’esquisse. Je reporte mon dessin sur mon lavis coloré.
3
Je peins ensuite tout ce qui est dans l’ombre ; je place également mes valeurs moyennes qui me permettent d’unifier ma peinture. J’essaye de constamment varier les couleurs.
4
Je ne me préoccupe pas du ton local à ce stade, juste des lumières et des ombres. Une fois ces couches sèches, j’ajoute ensuite les couleurs locales ou mes tonalités sombres afin de terminer la peinture.
D.Lobenberg
Osez les couleurs avec l'Américain David Lobenberg

Seeing it My Way
38 x 28 cm
J’ai choisi la thématique de l’autoportrait pour différentes raisons :
- Comme modèle, je suis toujours disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
- Plus j’entretiens ma pratique en me dessinant et en me peignant moi-même, mieux j’arrive à peindre les autres.
- L’autoportrait aiguise mon regard et m’aide à discerner les détails d’un visage avec ses angles, ses lumières et ses expressions. Qu’il s’agisse d’un autoportrait ou du portrait d’une personne autre que moi, le défi et la satisfaction sont toujours au rendez-vous.
Quand je peins avec une large gamme de couleurs, j’essaie de les distribuer sur l’ensemble de ma composition afin de créer de l’unité ; cette unité colorée est souvent pour moi le plus grand défi.
La question de l’habileté technique est celle de la maîtrise par l’artiste du moyen d’expression qu’il a choisi. Un artiste doit peindre de manière fluide et sans hésitation. Et encore, cela ne suffit pas. Ses qualités picturales propres et l’émotion ressentie sont également des considérations importantes.
Une peinture doit être quelque chose qui vous saisit et vous attire. Je suis une personne de nature impétueuse quand je peins. Donc, j’aime aborder ma peinture de façon impétueuse, en prenant des risques et en étant toujours sur le fil.
P 90 David Lobenberg
- premiers lavis : Je commence par poser mes premiers lavis initiaux,mouillé sur sec
- La chemise : À l’aide du pinceau large – celui que je tiens dans ma main sur la photo –, je pose les tonalités de ma chemise, mouillé sur mouillé. Un petit vaporisateur m’aide à disperser la peinture sur laquelle je reviens ensuite tant qu’elle est encore humide, avec un pinceau chargé, afin de créer des sinuosités.
- Le visage : Je continue à travailler le visage grâce à des lavis clairs, en mouillé sur sec. J’accentue les traits en montant progressivement mes couleurs par le biais de lavis transparents.
- Le fond : Je m’intéresse maintenant au fond. Je cherche le bon équilibre entre tonalité et valeur ; je peins avec ma feuille à l’envers et ma planche relevée afin de faciliter l’écoulement de l’eau.
- Je termine mon fond en ajoutant des lignes sinueuses dans le frais, c’est-à-dire pendant que la couleur utilisée pour l’arrière-plan est encore humide.
- Mélanges : Voilà à quoi ressemble ma palette en cours de séance… Je nettoie à intervalles réguliers la zone qui me sert à faire mes mélanges afin de garder des couleurs propres. Je peins la main.
- Contrastes : Ici, à l’aide de mon pinceau aquarelle, j’ai passé un autre lavis sur le fond par-dessus le premier. Ceci afin de renforcer le contraste de valeurs entre le fond et la forme constituée par ma main et ma tête.
- Réserves : Je renforce mes valeurs. Je réserve certaines zones à l’aide de ruban adhésif pour peintre 3M que je découpe en petits bouts en fonction de la zone que je souhaite préserver. Je peux décider de garder ces endroits blancs ou de repeindre par-dessus avec une autre couleur. L’avantage de cette bande adhésive est qu’elle peut être retirée facilement sans endommager ma feuille.
- Vaporiser : Avec un vaporisateur, j’enlève de la couleur dans mon fond.
- Finitions : À l’aide de mes carrés Conté, j’ajoute de la couleur opaque sur l’œuvre en cours.