L'aquarelle asiatique est une fois de plus à l'honneur avec la biennale internationale de Shenzhen et les rencontres avec les Taïwanais Huang Hsiao-Hui et Chien Chung Wei, le Chinois Chen-Wen Cheng, le Malaisien Tan Suz Chiang. et le thaïlandais Adisorn Pornsirikarn. Quelle brillot asiatique !
Dans l'actualité nous restons en Asie pour révéler le Thailandais Bancha Sriwong-Rach et ses scènes parisiennes, l'indien Amit Kapoor et le Singapourien Ky Tam.
Le dossier nous révèle la nouvelle génération d'aquarelles en Russie avec Dasha Rybina, Konstantin Sterkhov, Alexander Votsmush et Anna Ivanova.
Une rencontre avec les couleurs de Barbara Nechis et les nus de Franck Perrot.
L'actualité
Le Concours mondial de l’Aquarelle 2014
Nous avons patienté depuis un an pour connaître le résultat du concours international de l'Aquarelle. Nous voici sur la ligne d'arrivée, à Narbonne, en ce 1er octobre 2014.
Georges Artaud avait fait le déplacement depuis Le Mans pour recevoir le Prix de la Meilleure peinture française, assorti de 1 500 euros et d’un reportage dans le prochain numéro du magazine (voir Ada 24 et portfolio).
Le Grand prix du jury fut décerné à Chen-Wen Cheng pour son portrait intitulé Loving Mother. Cette récompense était assortie de 8 900 euros de récompense, ainsi que d’un reportage dans le magazine (en page 50 de ce numéro).
Pour rappel, les oeuvres des 23 finalistes sont publiées au #22 de l'Art de l'Aquarelle dans la section Portfolio.
Le Mondial de l’Aquarelle a été le concours le plus important de l’année pour un grand nombre d’artistes professionnels et amateurs et, pour certains, de leur carrière. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2 000 participants à la sélection en provenance de 82 pays.
Selon les estimations, vous étiez plus de 50 000 à avoir eu le plaisir de découvrir en personne l’exposition du Concours mondial dans la belle ville de Narbonne, dans le sud de la France. Vous avez ainsi pu admirer les peintures originales des artistes sélectionnés, qui pour la plupart n’étaient jamais venus exposer en France. Dans leur format réel, sans perte de qualité due à l’impression, encadrées et accrochées au mur, elles ont eu un impact très différent que lorsqu’on les voit imprimées, même en grand format, dans un magazine.
Le résultat fut époustouflant ! Cela fait plus de vingt ans que j’expose mes peintures dans des expositions internationales sur les 5 continents et j’ai jugé les plus grands concours d’aquarelle aux Etats-Unis, en Chine et en Europe : je peux donc vous dire que ce concours, ici en France, était l’un des meilleurs que j’aie jamais vus.
« Cinq des sept prix ont été donnés à des Chinois », ai-je entendu. Eh oui ! Les Chinois ont le plaisir de ramasser presque tous les prix dans les concours, dans tous les pays, aujourd’hui. C’est la réalité.
A partir du n° 24 de l’Art de l’Aquarelle (l’édition du mois de mars 2015), il y aura une rubrique spéciale réservée uniquement aux peintures de nos lecteurs. On vous invite à nous envoyer une photo d’une de vos oeuvres originales dans un thème précisé auparavant : pour inaugurer ce concours, nous avons choisi la nature morte.
Présidente du Jury Janine Gallizia
La Singapore Watercolour Society
La Singapore Watercolour Society a fêté en septembre dernier ses 45 bougies. La SWS a grandi pour devenir au fil des ans une association professionnelle à but non lucratif qui compte aujourd’hui plus de 120 membres.
En 2009, Ng Woon Lam (voir Ada 24) devint le second aquarelliste singapourien à être membre signataire de l’AWS. Il fut nommé par la suite « Dolphin Fellow » en 2014 après que deux de ses tableaux ont reçu la médaille de bronze lors d’expositions annuelles de la Société. D’autres membres de SWS, tels que Chan Chang How, Chow Chin Chuan, Khoo Cheang Jin, Lok Kerk Hwang, Tam Kwan Yuen, Tan Suz Chiang (voir Abstrait), Marvin Chew, Loy Chye Chuan, Seah Kam Chuan, Tia Kee Woon, Chew Piak San et Zhu Hong.
Retour sur ...
La Biennale de Shenzhen
Le coup d’envoi de la manifestation a été donné en décembre 2013 et l’exposition itinérante, après plusieurs escales à travers le pays, est visible encore quelques jours au Musée de Hainan, dans la ville de Haikou.
« LA DEMANDE ÉTAIT TELLE DE LA PART DES ARTISTES CHINOIS DE DÉCOUVRIR L’AQUARELLE INTERNATIONALE, ET RÉCIPROQUEMENT, QUE MONTER CETTE EXPOSITION ÉTAIT UN BESOIN URGENT. »
C’EST EN CES TERMES QUE L’ARTISTE CHINOIS ZHOUTIANYA EXPLIQUE CE QUI L’A MOTIVÉ À ORGANISER CETTE TRÈS AMBITIEUSE BIENNALE ITINÉRANTE, QUI FERME SES PORTES LE 10 DÉCEMBRE… AVANT L’OUVERTURE DE LA 2E ÉDITION, PRÉVUE DANS UN AN.
250 artistes venus du monde entier ; un jury réunissant des personnalités aussi distinctes que Lu Hong (Chine) et Liu Shouxiang (Chine), David Taylor, (Australie), John Salminen (USA), Thomas Plunkett (GB), Andy Wood (GB), Chen Jian (Chine), ainsi que Zhou Tianya lui-même et Li Xiaoyang (Chine), et qui décerna plus de 70 000 USD de prix.
Véritablement tournée vers l’international, l’exposition a permis de confronter une vaste diversité de styles et d’approches de l’aquarelle, un signe, s’il en était, de sa vitalité. Plus de 10 000 visiteurs purent ainsi admirer les oeuvres lors de la première exposition à Shenzhen et, lors des dates suivantes, elle a connu un engouement sans précédent.
La suite est déjà sur les rails : la prochaine Biennale se tiendra entre 2015 et 2016 et ses inscriptions seront bientôt ouvertes à tous .
Révélations
Alexis Le Borgne, talent de demain.
Il aura fallu seulement quatre ans à Alexis Le Borgne pour parvenir à une maîtrise telle de l’aquarelle qu’elle lui a permis de se classer, avec son oeuvre Rêve de lumière (ci-contre), 7e – sur 700 participants issus de 69 pays – d’un concours international réservé aux moins de trente ans.
Ce prix couronne le parcours sans faute de ce jeune artiste humble, passionné et timide, comme on l’est souvent à cet âge, et qui ne s’est procuré sa première palette d’aquarelle qu’en… 2010 !
J’ai découvert l’aquarelle par hasard, grâce à une rencontre avec le carnettiste Yann Lesacher dans un Salon. Je suis allé sur son site, et ça m’a donné envie de me mettre à la couleur, car je dessinais déjà depuis l’âge de 10 ans. J’ai été saisi par la magie du pigment et de l’eau, la lumière de l’aquarelle.
Rêve de lumière
C’est une oeuvre que j’avais préparée comme ça, pour inaugurer une nouvelle série sur les intérieurs. Mais j’avais quand même suivi les conseils de l’Art de l’Aquarelle sur la façon de préparer ses oeuvres pour un concours.
P22 Alexis Le Borgne
Bancha Sriwong-Rach, artiste Thailandais en voyage à Paris.
Ma série d’aquarelles intitulée “France” trouve son origine dans mes voyages dans l’Hexagone, qui m’ont laissé une forte impression. De visites de musées en excursions, j’ai vécu au rythme de la culture française en 2012-2013.
Ma première vision de Paris, en tant qu’artiste thaï, fut celle des tons chauds et de la beauté de l’architecture, qui m’ont ramené tout droit vers le XVIIIe siècle et l’époque impressionniste.
Afin de pouvoir traduire l’élégance des monuments et leur signification historique, j’ai réalisé cette série dans un esprit logique.C’est ainsi que je n’ai pu résister aux puissants tons foncés, qui rappellent ceux qu’utilisaient les artistes d’alors. J’ai pu rendre l’irrésistible élégance de la lumière et la mise en couleur des ambiances architecturales et culturelles françaises, comme une pièce de théâtre qui aurait toujours cours depuis deux siècles
Mon travail à l’aquarelle repose sur la pose d’une sous-couche, et l’utilisation de tons gris et sombres. Il en résulte ces images à la fois charmantes et mystérieuses.
P 24 Bancha Sriwong-Rach
Julio Jorge, Portugal.
Enfant, l’une des choses que je préférais était de m’asseoir devant la cheminée lors des froides soirées d’hiver, après dîner, et d’écouter les histoires que me racontait mon grand-père, les yeux émerveillés, regardant son magnifique visage ridé, et me disant combien les vieilles personnes étaient des êtres pleins de sagesse. Depuis, les années ont passé, et j’ai réalisé que, après tout, la plupart des histoires que j’avais entendues enfant n’étaient que des comptes rendus de la dure vie quotidienne.
Adulte, ma fascination demeurait. Comme j’ai passé toute ma vie à Alentejo, une région rurale où la majorité de la population est âgée, je peux dire que les sources d’inspiration sont nombreuses, et qu’elles me poussent constamment à prendre les pinceaux.J’essaie de ne peindre que des visages de gens que je connais, car j’aime leur parler, savoir qu’ils me font confiance, et de cette manière je peux ressentir leur âme, comprendre leurs joies et leurs peines et leur rappeler quels étaient leurs rêves.
Ma peinture est plutôt de nature réaliste, méticuleuse et précise. Je pratique une technique lente et de longue haleine qui exige beaucoup de patience, parce que la plupart du temps je peins dans l’humide, au moyen de petites touches, laissant les couleurs se mélanger et s’interpénétrer jusqu’à ce qu’elles atteignent les teintes voulues.
Je construis les visages petit à petit, les assemblant comme les pièces d’un puzzle…
P 25 Julio Jorge
Amit Kapoor, Inde.
Peindre à l’aquarelle est l’un de mes plus grands plaisirs et c’est même devenu une addiction ! L’art, pour moi, se rapproche de la méditation. J’essaie de capturer l’essence même de mes sujets avec passion, soignant particulièrement mon dessin.
Mes sujets ? Des rues, des scènes urbaines, des intérieurs, des cuisines… J’aime les villes, lesquelles offrent de jolis jeux d’ombre et de lumière et de belles perspectives. J’ai une passion pour les sujets ferroviaires : la fumée des locomotives, les voies ferrées, le remue-ménage dans les gares… J’ai également beaucoup voyagé dans les régions montagneuses d’Inde, et j’en ai même fait différentes séries.
Je crois dur comme fer à l’adage : “La pratique de l’art ne sert pas à gagner sa vie, mais à faire grandir votre âme.”
P 26 Amit Kapoor
Ky Tam, Singapour
Mes aquarelles prennent principalement pour sujets des scènes urbaines de nuit : les éclairages qui contrastent avec la noirceur du ciel forment un effet visuel saisissant qui attire le spectateur.Mes sujets incluent les paysages urbains de Singapour et de Hong Kong, où les gratte-ciel composent l’essentiel du paysage. Il y a aussi l’interaction de la figure humaine avec son environnement, qui me permet de décrire le mouvement humain dans ces villes.
Je commence par poser les sombres, en général le ciel ou les zones foncées des bâtiments ou des silhouettes. Puis je continue par une transition, un peu à la manière de Rembrandt, des foncés aux clairs (lumières de la ville) en réservant des zones blanches du papier ou en utilisant des couleurs éclatantes comme le jaune ou l’orange, qui offrent une transition rapide du sombre au clair. Ainsi j’arrive à rendre l’effet des éclairages dans les scènes urbaines.
Mon style pictural est ardu parce que les détails, dans de telles scènes, ont besoin d’être traduits très précisément, ce qui donne un portrait riche et complet de la vie urbaine. La complexité des formes me donne aussi une chance d’explorer les subtilités à la fois des valeurs et des températures des couleurs dans le design. Je sens qu’il y a encore beaucoup à explorer dans ces paysages urbains et je continuerai à le faire, à l’aquarelle, encore longtemps.
P 27 Ky Tam
H.Hsiao-Hui

Rabbit in the Snow, 36 x 51 cm
Je n’avais pas peint de manière classique à l’aquarelle depuis une dizaine d’années. L’année dernière, je me suis lancée à nouveau en commençant par des lavis puis en donnant une impression de rêve à ce paysage par de petites touches très précises.

Huang Hsiao-Hui
Lumière & sensibilité
Inspirée par l'aquarelle Britanique (Thomas Girtin, John Sell Cotman, William Henry Hunt, Edward Seago), Huang Hsiao-Hui est une artiste d'origine Taïwanaise sensible au rendu de la lumière.
Mes premières aquarelles étaient réalistes, et étaient montées par des lavis successifs et une attention pour le détail. Depuis ces dernières années, je mets l’accent sur la composition picturale. Je me concentre sur l’ensemble de mon oeuvre. Ainsi, mes aquarelles ont une palette de couleurs sourdes et un dessin plus lâché.
Occasionnellement, j’y glisse un message caché. Parfois je laisse juste la simple beauté plastique s’exprimer. Certaines de mes peintures dévoilent l’histoire de mon apprentissage, d’autres cherchent à communiquer mes sentiments pour mon environnement et le monde dans lequel je vis. Ce que je cherche à révéler, en fait, ce sont les pensées qui intègrent la scène au monde réel. Cette intégration doit être harmonieuse et pas abrupte. Je compose mes oeuvres non pas pour raconter une histoire, mais dans le but de créer une oeuvre d’art à partir d’une scène et de provoquer des émotions chez le spectateur. Ceci dit, la plupart de mes aquarelles n’ont d’autre but que d’exprimer une sensibilité esthétique.
Page 30 Huang Hsiao-Hui
Je reste convaincue qu’en matière de réalisme en peinture, l’aquarelle n’est en rien inférieure à la peinture à l’huile.Mon matériau brut provient à 50 % de mon esquisse, et à 50 % de mon imagination. J’enlève généralement les éléments incongrus ou peu attirants qui ne conviennent pas à l’équilibre de ma composition. Ou alors je les déplace. Parfois, je mets l’accent sur les passages de lumière et d’ombres dans les zones clés et j’amoindris les zones secondaires. Le tout dans le but de rendre une atmosphère.
Ma palette de base se compose des couleurs suivantes : carmin d’alizarine, laque écarlate, jaune de cadmium, orange Winsor, bleu outremer, bleu de cobalt, bleu Winsor, bleu céruléum, viridien, noir de fumée, brun Van Dyck, terre de Sienne brûlée, et terre d’ombre. Elles me permettent de créer une belle harmonie de teintes.
En outre, je peux ajouter en fonction de mes besoins des peintures translucides et opaques.
Ma particularité est de privilégier les couleurs qui granulent, tels que le bleu outremer, le bleu de cobalt, le brun Van Dyck et l’ombre naturelle. En utilisant beaucoup d’eau, on peut obtenir de surprenants effets de texture et de granulation.
Démo Days of my Youth
CETTE AQUARELLE PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME UN TOUR DE FORCE CAR J’AI TENTÉ DE DÉPASSER LES TECHNIQUES RÉALISTES QUE J’UTILISAIS JUSQU’ALORS.
Je n’aime rien de plus que choisir une composition dans ce qui m’entoure. Parfois, mes sujets proviennent des heureux hasards de la vie. Ce peut être une journée où je suis sortie faire du shopping ou me promener. Ce sont les scènes intrigantes qui saisissent mon regard.
Dans cette photo, la vitrine éclairée en contrejour avait des formes magnifiques avec des contrastes forts de valeurs.
À partir de là, se pose alors la question : comment rendre tous les objets présents ?
1
J’ai commencé par passer un lavis de jaune clair sur ma feuille. Une fois la surface sèche, j’ai utilisé beaucoup d’eau pour mélanger mes couleurs primaires : rouge, jaune et bleu, afin de rendre l’encadrement de la fenêtre et réduire l’amoncellement de formes complexes à l’aide de taches de couleurs simples.
2
J’ai ensuite continué en superposant des couches de couleur pour rendre les effets de contraste désirés. Une fois ma feuille parfaitement sèche, j’ai utilisé un large pinceau humide pour lever la peinture sur les contours de mes formes. J’ai répété cette opération à plusieurs reprises afin d’obtenir les effets de flou voulus.
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Je continue à superposer les lavis de couleur, tout en levant la peinture sur les contours des formes. Je répète mes glacis, ajoutant des couches et des couches tout en retirant de la peinture dans les zones où les formes et les touches de pinceau ne me conviennent pas. C’est grâce à ce processus laborieux que je peux créer la subtilité et la richesse de mes tonalités dans mes peintures.
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La dernière étape est la plus difficile. À ce stade, le pire que je puisse faire est de tenter de copier la photo et de me perdre dans les détails. Je vais donc choisir seulement certaines zones sur lesquelles je vais me concentrer. Ici, je choisis la zone dynamique qui part d’en bas à droite vers la partie supérieure à gauche, au détriment des autres. Si la photo ne me fournit pas suffisamment d’informations au point focal, j’invente simplement des détails. En soi, dessiner une variété d’objets n’est pas un souci. Le souci est de peindre les bons objets au bon endroit !
Days of My Youth
Aquarelle sur Arches 280 g, 74 x 52 cm.
A.Pornsirikarn
La force de la délicatesse d'Adisorn Pornsirikarn
Adisorn Pornsirikarn a composé une gigantesque aquarelle en hommage au roi de Thaïlande.
Cette grande fresque représente aussi bien des fleurs que l’épopée mythologique de Ramayana.
Elle est d’une dimension de 1,30 sur 5 mètres et a demandé à Adisorn une journée complète de travail là où il réalise habituellement ses aquarelles florales en deux ou trois heures de temps.
Au cours des dernières années, j’ai surtout peint des fleurs. C’est d’ailleurs un peu devenu ma marque de fabrique. Mais récemment, je me suis lancé dans une entreprise différente, plus ambitieuse. Je suis très fier d’être Thaïlandais et, comme beaucoup d’autres de mes compatriotes, j’éprouve une grande admiration pour notre roi. J’ai donc voulu lui rendre hommage à travers une grande peinture qui s’inspirait du Khon, une forme de danse thaïlandaise.
J’ai commencé par planifier mon sujet et mon fond, en attachant beaucoup d’importance à l’image globale qui exprimera l’atmosphère de la peinture. Je peins mouillé sur mouillé afin de garder un équilibre entre le sujet et le fond, équilibrer mes couleurs sur l’ensemble de la composition et définir mes contrastes d’ombres et de lumière.
J’essaye dans mes peintures d’amalgamer réalisme et imaginaire du mieux que je peux. Par réalisme, j’entends peindre mon sujet tel qu’il peut être vu et, par imaginaire, je veux dire le lien entre l’artiste et le spectateur. Dans mes peintures, ce sont la lumière, le mouvement et les gestes sûrs sur ma feuille qui stimulent le plaisir que peuvent ressentir à la fois l’artiste et le spectateur.
Pour moi, le style consiste avant tout à faire et refaire jusqu’à ce que la peinture trouve son unicité. Au cours de ce voyage, l’artiste va vivre des expériences mémorables ; ce sont elles qui vont devenir sa principale source d’inspiration. Si je peins des fleurs, c’est avant tout parce que je suis inspiré par les saisons et l’éveil de la nature. De plus, je peins celles qui m’inspirent des sentiments tels que l’amour et l’espoir.
En ce sens, serais-je un impressionniste ? En même temps mes touches incisives et agressives ont pour but d’éveiller des sentiments chez le spectateur. C’est ce que j’appelle mon côté expressionniste.Page 79 Adisorn Pornsirikarn
Ce que je sais, c’est que chaque jour je suis toujours aussi enthousiasmé par mon travail. J’éprouve du plaisir en peignant et de l’admiration pour mon sujet, la nature. L’inspiration me vient des gens que j’aime et aussi des histoires qui font surgir en moi des émotions. Tout cela aide à stimuler ma puissance de création. Si je peins, c’est avant tout avec amour et passion et cela me procure de la joie.
Je fais appel à la mémoire et je raconte directement l’histoire sur la feuille – un peu comme s’il s’agissait d’un roman : pour l’expliquer à une personne qui ne l’a pas lu, nous y ajoutons nos propres sentiments. Je préfère, et de loin, exprimer ma satisfaction et mes émotions, pas simplement restituer ce que je vois. C’est sans doute pour cela que j’attaque directement la feuille, sans dessin préparatoire.
Je dois prévoir l’intensité et les contrastes de couleurs, et surtout les emplacements de mes blancs et de mes zones les plus sombres. Dans une peinture en négatif, l’emplacement de la fleur sera laissé vierge lors des premiers lavis afin de rendre sa douceur et sa transparence.
J’essaie de raconter l’histoire de la fleur, donc d’en saisir la force à l’aide de ma touche. En fait, une peinture de fleur est un peu la représentation de la dualité entre la délicatesse de la femme, symbolisée par la douceur des pétales, et la force de l’homme, symbolisé par le geste de l’artiste.
J’aime aussi ajouter des rehauts de lumière qui agissent un peu comme les rayons du soleil réfléchis à travers une pierre précieuse.
Recevoir des fleurs, c’est comme en fait recevoir de l’amour et du soutien moral… voilà le message de mes peintures. Je peins surtout des fleurs locales, des fleurs de saison qui sont une représentation symbolique de la culture de Thaïlande et du Siam.
Blossom
Une peinture de fleur est un peu la représentation de la dualité entre la délicatesse de la femme, symbolisée par la douceur des pétales, et la force de l’homme, symbolisé par le geste de l’artiste.
Russie
Aquarelle en Russie :
la nouvelle génération
KONSTANTIN STERKHOV ET SES INTÉRIEURS BAIGNÉS DE LUMIÈRE, ALEXANDER VOTSMUSH ET SES SCÈNES ONIRIQUES ET GRAPHIQUES, ANNA IVANOVA ET SES PORTRAITS VIBRANTS OU DASHA RYBINA ET SON MONDE EN GRISAILLE, CHACUN DE CES 4 JEUNES ARTISTES A À COEUR DE TRACER SON PROPRE SILLON.
Konstantin Sterkhov

Un des 4 organisateurs des Masters of Watercolour de St-Petersbourg 2015 (voir Ada 24), Konstantin Sterkhov insiste sur l'importance des valeurs, soutenue par des couleurs naturelles basées sur des pigments minéraux : l’ocre, les terres, les rouges de mars, les sépias… avec quelques bleus.
Morning Care
Cette oeuvre est un espace pour l’imagination. La femme dans le fauteuil est en train de se brosser les cheveux. Sa silhouette sombre se découpe contre la lumière filtrant à travers la fenêtre. On ne peut pas voir son visage, on ne peut pas voir ses mains, et on ne peut pas discerner ce qui se passe de l’autre côté de la fenêtre.
Tout cela, ce sont des détails inutiles : il appartient au spectateur de les compléter mentalement. Les informations suffisantes pour comprendre la scène sont : la lumière, le personnage et le mouvement.
Page 36 Konstantin Sterkhov
Dasha Rybina

320. Aquarelle et encre sur papier, 100 x 100 cm
Le titre de cette oeuvre est en fait une référence au nombre de carreaux de cette façade.

Jeune artiste de 34 ans, Dasha Rybina insuffle une vision originale à des sujets classiques dans une technique monochrome qui n'est pas sans rappeler la grisaille.
J’ai découvert l’aquarelle comme tous mes amis, durant mon enfance. Ça a été mon premier contact avec l’art. Ma formation académique est double : j’ai suivi des cours au Collège pédagogique et un cursus sur la peinture monumentale à l’Académie des beaux-arts et d’architecture de Kiev. Une amie m’a dit un jour que j’avais inventé une nouvelle façon de peindre : à la douche ! Je ne sais pas si c’est vrai, mais voici comment je procède.
Mes premières oeuvres étaient peintes uniquement à l’aquarelle noire. Après plusieurs expériences, je suis parvenue à un style et une méthode de travail qui me conviennent : mes formes opaques sont obtenues avec de l’encre noire, mes formes transparentes et mes couleurs diluées avec de l’aquarelle noire. Je peux ainsi obtenir une gradation des noirs et des gris qui se rapprochent de la peinture en grisaille et qui donnent à ma peinture cette grâce et cette lumière si particulières.Je représente souvent des sites architecturaux. Je commence par un dessin au crayon. Ensuite, je remplis l’espace et positionne mes ombres et mes lumières. Une fois que cette première étape est terminée, je lave mon dessin sous la douche !
Cela me permet d’effacer les lignes trop nettes. Ce qui reste alors de mon dessin est ce que je considère important. Une fois ma feuille sèche, je retravaille les détails là où cela me semble essentiel. Je peux répéter ce procédé entre une et cinq fois, si je ne suis pas satisfaite du premier coup.
L’avantage de procéder ainsi est que j’obtiens des effets que je ne pourrais obtenir autrement, c’est-à-dire avec ma main et mon pinceau.
Page 38 Dasha Rybina
Gate
Aquarelle et encre sur papier, 100 x 100 cm.
Cet été, j’ai vécu sur l’avenue Nevsky à Saint-Pétersbourg, où j’ai eu l’occasion par la suite d’exposer 15 peintures représentant la ville. Tous les matins, je passais devant une grille illuminée par le soleil : elle ressemblait à de la dentelle, découpée dans la lumière
Crossroads
Aquarelle et encre sur papier, 100 x 100 cm.
Ce qui m’a attirée ici était la perspective de ce carrefour où cinq artères se croisent. J’ai été particulièrement interpellée par la verticalité et la finesse d’un des bâtiments, qui se tenait bien droit au croisement.
Alexander Votsmush
All go to work and I go home. 60 x 92 cm
Bien que cette aquarelle ait été peinte d’imagination, elle retranscrit une vraie émotion. J’ai voulu représenter ce moment dans la ville où les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes : certains se rendent au travail, d’autres dans des bars.

Alexander Votsmush définit son style comme l'Aquarelle Bouillonnante, soit l’explosion dans le mouillé, le mouvement, la vitesse et la musicalité.
J'ai peint ma première image à l’école maternelle à l’âge de 5 ans. Je m’en souviens encore : c’était celle d’un loup gris avec une langue verte et des yeux rouges. Je me suis ensuite forgé mon propre style. Je ne me considère pas comme étant affilié à une quelconque tradition.
L’explosion dans le mouillé, le mouvement, la vitesse et la musicalité – voilà les éléments qui forment ma vision de la peinture. Ce que je cherche en fait avant tout est de m’exprimer à travers mes aquarelles, la musique et l’amour. Tous mes amis sont de passionnants artistes et nous nous infl uençons mutuellement. J’admire aussi les artistes du passé, tels que Turner, Anatoly Kokorin et Herluf Bidstrup, ainsi que de très nombreux autres.
Je pense que ma créativité et mon imagination débordantes sont telles que l’aquarelle me convient le mieux pour toucher le coeur des gens. Parce que c’est la technique la plus rapide. Et face à la feuille blanche, l’angoisse a désormais disparu, pour laisser place à la joie de raconter une nouvelle histoire. Je cherche toujours à décrire et à retranscrire ce qui était mon idée initiale. Mais il arrive qu’en cours de route, cette idée change complètement.
Je commence par une esquisse au crayon (jamais plus d’une par aquarelle). Ensuite, je fais un dessin plus poussé sur ma feuille. Puis je pose mes premières couleurs – les primaires. Mes grands aplats sont peints dans l’humide. Enfin, je place mes détails sur sec.
Page 40 Alexander Votsmush
Sailors Play Football. 40 x 105 cm.
J’ai eu l’occasion d’être une fois le témoin de cette scène hors du commun dans le port de Sébastopol, et je l’ai peinte d’après le souvenir que j’en avais.
Prospect of a Star. 71 x 105 cm.
J’ai voulu dans ce tableau mettre en valeur l’interaction entre l’ombre et la lumière. Pour ce faire, j’ai choisi comme sujet les rues de la ville dont les contours des bâtiments se découpent contre l’espace du ciel. J’ai cherché par le biais de ce contraste fort à exprimer les émotions que j’ai ressenties en voyant le sujet.
Anna Ivanova

Anna Ivanova est une portraitiste qui a besoin d'un lien avec son modèle pour trouver l'inspiration et et restituer ressemblance et atmosphère. Ses armes ? L'humilité et la simplicité alliées à une volonté farouche de ne jamais se lasser d'apprendre.
Chaque artiste avec qui j’ai pu travailler ou dont j’ai pu admirer la peinture a été pour moi une expérience inoubliable et m’a aidée en retour à améliorer et développer ma propre technique. Il est vraiment important pour chaque artiste de voir un maximum d’expositions, d’observer le travail des différents maîtres et d’entendre leurs critiques, parce que je crois qu’il y a toujours de place pour l’amélioration.
Tout est important ! La ressemblance avec le modèle et l’atmosphère générale. À mon sens, les deux ne peuvent être séparées : si vous choisissez de peindre une personne particulière, c’est parce qu’elle vous a inspiré. Et votre tâche consiste à donner à votre tableau une atmosphère globale.
J’englobe dans ma peinture plusieurs techniques, tout dépend du sujet et de mon but. Pour mes paysages, par exemple, je peins mouillé sur mouillé alors que je varie les techniques dans mes portraits.
Dans le cas d’un portrait en atelier, je commence par du mouillé sur sec pour poser mes grandes masses, puis, tandis que je rentre dans les détails, mon pinceau devient de plus en plus sec. Je peins par superposition de couches de couleur. C’est important car ainsi, à l’aide de couches transparentes, je peux obtenir la profondeur et la texture souhaitées. La transparence des couleurs est primordiale pour garder une peinture fraîche et spontanée malgré toutes les couches.
Je passe ensuite au fond, toujours peint mouillé sur mouillé, en humidifiant les deux faces de ma feuille. Parfois, après l’avoir humidifiée, je dessine certains détails que je vais laisser sécher avant de mouiller à nouveau leur pourtour. Ensuite, j’ajoute les couleurs sur le fond. Dans le cas d’un travail en plein air, je vais peindre mouillé sur mouillé.
Page 42 Anna Ivanova
Dans le cas d’un travail en plein air, je vais peindre mouillé sur mouillé. Là aussi, les deux faces sont mouillées et j’essaye de peindre en une seule session avant que la feuille ne soit sèche.
PLUSIEURS TABLEAUX POUR UN MÊME SUJET
Je préfère peindre des gens que je connais ou que j’ai déjà rencontrés. Il est très important pour moi de ressentir un lien avec la personne. Je pense que mes meilleurs portraits sont ceux de ma famille ou de mes meilleurs amis. J’ai par exemple peint mes frères à plusieurs reprises.
J’ai deux frères, chanteurs dans un groupe plutôt connu. Une première version de leurs portraits a été faite comme cadeau pour mon père. J’ai décidé d’en peindre une seconde afin de les offrir également à mes frères, pour leur anniversaire. En retour, le portrait de Vladimir a reçu un prix à la Biennale de Shanghai Zhujiajiao en 2012… et le portrait d’Ilya a été choisi pour la Biennale internationale de Turquie en 2013 !
Dans ce premier portrait de Vladimir, j’ai respecté la règle consistant à intégrer mon sujet dans le fond afin de rendre la composition harmonieuse. C’est une règle apprise durant mes cours et que j’ai suivie dans ce premier tableau.
Cependant, avec la deuxième version, j’ai été plus aventureuse. Le sujet est sous un jour inhabituel : la posture du corps et l’expression du visage sont peu communes. J’ai eu recours à de nombreuses esquisses. Cette composition était à mon sens la meilleure parce que, pour moi, elle témoignait de l’incroyable énergie de mon frère.
Enfin, la troisième version est très éloignée de ma culture classique. J’ai essayé de créer un triangle qui relie les éléments les plus importants de l’image : la tête et les mains. Les mains sont primordiales parce que, lorsque mon frère chante, il est toujours en train de les bouger !
B.Nechis
Barbara Nechis

La peinture de Barbara Nechis se situe entre le réalisme et l’abstraction. La couleur lui est fondamentale, si les formes peuvent se répéter, chaque couleur est une forme d’expérimentation en soi.
Canadienne diplômée en histoire et en beaux-arts, elle est l’auteur de Watercolor From The Heart: techniques for painting the essence of nature (1993).
J’utilise généralement des couleurs pures. En revanche, je vais tremper mon pinceau dans plusieurs godets successivement afin que les couleurs se mélangent ensuite sur la feuille. Mais lorsque je passe mes lavis et que je travaille en glacis, il m’arrive effectivement de mélanger mes couleurs.
J’utilise aussi bien des couleurs transparentes et opaques. J’aime bien les couleurs quand je travaille mouillé sur mouillé parce qu’elles retiennent mieux les formes. Il m’arrive aussi de combiner de la gouache à mes aquarelles pour leur donner un peu plus de corps.
Je n’utilise jamais de gomme à masquer ; je peins autour de mes zones blanches. Si je veux récupérer des blancs, je pose un pochoir sur la partie en question et je soulève mes couleurs avec une éponge.
Page 46 Barbara Nechis
J’ai l’impression que ma peinture se situe dans une petite catégorie entre le réalisme et l’abstraction. J’ai constaté que généralement les spectateurs sont attachés à l’une ou à l’autre de ces deux tendances et ont parfois du mal à ressentir un lien avec cet entre-deux. Je suis bien sûr heureuse lorsque quelqu’un me dit qu’il est touché par ma peinture, mais cela n’affecte pas ma manière de peindre.
Pour moi, la couleur est sans doute la chose la plus importante. Je peux facilement corriger une peinture en ajustant les contrastes de valeur, mais il est très difficile d’obtenir exactement la nuance de couleur que je souhaite si j’ai perdu le blanc du papier. Je suis aussi toujours en train d’essayer des nouvelles combinaisons, je n’ai donc pas de recette toute faite. Pratiquement chaque couleur est une forme d’expérimentation en soi, mais le jeu en vaut largement la chandelle parce qu’ainsi, chacune de mes peintures est vraiment unique, tout en combinant la même famille de formes.
DE L’IMPORTANCE DE PEINDRE EN NÉGATIF
Travailler en négatif est particulièrement important à l’aquarelle car cette technique sert à peindre les ombres et les lumières. Pour moi, il s’agit de la même démarche que le dessin. Si je vous demande de dessiner une main, vous allez spontanément tracer le contour extérieur de la main. Et à l’aquarelle, c’est pareil : vous allez peindre l’espace autour de la main.
Le peintre Romare Bearden a dit : « Il n’existe pas d’espace négatif. Dans une peinture bien organisée, tous les espaces peuvent être considérés comme positifs et dirigés vers l’ordonnancement du tout. »
Tableau à la loupe : The Well
Ce sont le papier et la peinture qui me séduisent. Je ne commence jamais avec une idée en tête, mais avec des images de rochers et d’eau. Tout ce qui a trait à la nature m’attire.
LE SUJET
Le Yosemite est un des endroits les plus magnifiques que je connaisse et je voulais que le rugissement de la chute d’eau fasse écho à la tranquillité et au calme du plan d’eau. C’était pour moi l’occasion de représenter le sentiment de puissance de la nature que j’éprouve quand je suis seule dans un cadre pareil.
LA COMPOSITION
J’ai commencé à peindre ce tableau dans le Parc de Yosemite. J’ai débuté par le faisceau vertical des arbres. En regardant la composition sous un autre angle, après avoir tourné ma feuille de 90°, j’ai réalisé que les formes des arbres dans le quadrant inférieur droit ressemblaient à des lignes vues à travers l’eau. J’ai choisi une dominante horizontale que j’ai adoucie en plaçant des traces verticales dans le tiers supérieur de la composition. Afin de créer plus de dynamisme, j’ai posé les courbes d’une cascade d’eau dans la partie gauche, tout en gardant un chemin horizontal de lignes et de formes pour représenter l’eau.
LES COULEURS
J’ai gardé une dominante de couleurs froides pour ce tableau tout en répartissant des tonalités chaudes dans l’ensemble de la composition afin de donner un sentiment automnal.
DIRIGER LE REGARD DU SPECTATEUR
Je me suis servi des tonalités sombres pour guider le regard du spectateur à l’intérieur de l’oeuvre. J’ai constaté que j’évite généralement d’avoir une seule zone focale parce que la meilleure manière de faire l’expérience de la nature est de la ressentir dans son ensemble et pas d’un point de vue particulier. Cela permet aussi de maintenir l’attention du spectateur suffisamment longtemps avec plusieurs zones d’intérêt. Un peu comme s’il s’agissait d’une promenade dans les bois. J’aime avoir dans un tableau de paysage plusieurs zones d’intérêt : le point focal principal de ce tableau-ci est constitué de la chute d’eau et des reflets dans la partie gauche.
Abstrait
Abstraction
et textures
Après Barbara Nechis, nous continuons sur ce numéro notre chemin vers l'abstraction avec deux autres artistes, l'Américaine Elaine Daily-Birnbaum et le Malaisien Tan Suz Chiang
Elaine Daily-Birnbaum
De mystérieux jeux de textures
Elaine Daily-Birnbaum insuffle un élément de mystère dans ses peintures. Superpositions de couches à l'aquarelle et à l'acrylique , trace et griffures, sa quête expressive est sans fin.
Elle vit à Madison, dans le Wisconsin. Elle est membre de la San Diego Watercolor Society, de la National Watercolor Society, de l’American Watercolor Society et de la California Watercolor Society. Au cours de sa carrière, elle a reçu plus d’une soixantaine de prix.
Je suis un peintre intuitif et je ne fais que répondre aux formes et aux couleurs sur ma feuille. Bien sûr, j’ai entamé le dialogue par une première couleur. Mais ce premier geste ne me permet que de déterminer si je vais faire une oeuvre plutôt chaude ou froide.
Il m’arrive d’avoir une idée en tête, même si je n’arrive jamais à vraiment la saisir parce que je trouve toujours des images plus captivantes en cours de route. Lorsque je peins, je suis en état d’alerte. Ce qui est une raison pour lesquelles j’écoute des livres audio. Cela me permet d’occuper l’hémisphère gauche de mon cerveau, laissant mon hémisphère droit me guider dans ma création.
Choisir un titre pour un tableau me prend parfois autant de temps que le tableau lui-même. Il arrive aussi parfois que le titre vienne tout seul en cours de route quand je peins. Bien sûr quand cela arrive, cela a des répercussions sur mon travail en cours.
J’utilise toutes les techniques aqueuses. Pour moi, ce ne sont que des pigments avec des caractéristiques qui varient. Il y a des couleurs que je préfère employer à l’acrylique et d’autres à l’aquarelle, mais j’aime bien mélanger les deux dans mes tableaux. Utiliser l’eau – au lieu d’un médium toxique – est quelque chose d’important pour moi. De plus, j’adore superposer de multiples couches de peintures très fines, et cela marche très bien à l’aquarelle comme à l’acrylique. Je n’ajoute ni médium ni additif. Je me contente de l’eau, ce qui simplifie mon processus de peinture.
Page 70 Elaine Daily-Birnbaum
Tableau à la loupe : Over Troubled Waters
Ce tableau a reçu le prix Didi Deglin, assorti d’une récompense de 1 000 USD à l’occasion de la dernière exposition annuelle de l’American Watercolor Society. Elaine Daily-Birnbaum revient sur la création de cette oeuvre.
LA GENÈSE
J’ai créé cette peinture dans le but de la soumettre au concours de l’AWS, même si, bien souvent, travailler dans ce but ne produit pas chez moi de bons résultats : la pression est beaucoup trop forte ! Je peins généralement bien mieux quand je travaille avec comme seul objectif le plaisir de la découverte. Ceci dit, ce tableau-là a très rapidement pris une bonne tournure. Ma tâche ensuite a été de me restreindre et ne pas me forcer à surtravailler mon tableau. Bien qu’il ne soit pas aussi doux que d’autres, j’ai été attiré par l’intensité des contours.
LES COULEURS
J’ai utilisé pour ce tableau une palette de couleurs différente que j’utilise habituellement. J’ai intentionnellement voulu créer quelque chose de nouveau avec ce tableau.
LE PAPIER
J’utilise du papier 300 grammes grain satin. Bien que j’aime les textures dans mes peintures, je veux les contrôler moi-même, aussi je préfère un papier très lisse comme point de départ. Je choisis principalement des papiers Arches et Strathmore. Et je prends un papier épais, pour qu’il puisse supporter tous mes grattages.
LE PROCESSUS CRÉATIF.
J’ai construit mes couches avec des applications répétées en variant légèrement la teinte à chaque fois. Après chaque couche, j’ai légèrement tamponné la surface avec une feuille d’essuietout afin d’enlever le pigment par endroits. J’ai aussi laissé des traces à l’aide de mes ongles et d’une vieille carte de crédit. J’ai répété ce processus environ 5 ou 6 fois. J’ai également tracé des lignes à l’aide de crayons aquarellables. Je pense que je préfère le processus créatif lui-même plus que le résultat fini. Je suis prête à prendre des risques et partir dans une direction nouvelle. Cela est particulièrement vrai lorsque je ne me sens pas inspirée ou que je suis en quête d’énergie. Il est très facile en peinture de se contenter de rester dans sa zone de confort. Mais si on fait l’effort de prendre des risques, on en sort toujours grandi.

Tan Suz Chiang "Je peins des souvenirs"
Tan Suz Chiang est une artiste Malaisien, membre signataire de la National Watercolour Society (NWS) américaine, de la Contemporary Malaysia Watercolour Association, de la Malaysian Watercolour Society, de la Singapore Watercolour Society et de la Penang Watercolour Society.Aquarelliste réaliste à ses débuts, il a évolué vers des représentations plus abstraites où il imprime sa personnalité.
Je suis diplômé en beaux-arts de la Central Academy of Art, en Malaisie. Durant mes années d’étude, j’étais fasciné par l’encre de Chine, et plus particulièrement par sa capacité à pouvoir rendre de manière abstraite des effets de lumière, de volume et de texture. Ces facteurs ont été très déterminants dans l’évolution de ma création. La liberté d’expression et la polyvalence dans sa manipulation m’ont permis de penser mon style propre et de mettre en forme ma vision de l’abstraction.
Mon chemin en art a démarré par le réalisme : j’essayais à mes débuts de retranscrire ce que je voyais directement ou par le filtre de la photo. Mais, tandis que je progressais dans ma technique et que mes capacités évoluaient, je suis devenu plus exigeant avec moi-même car je trouvais que ma peinture manquait d’émotions et n’était pas suffisamment personnelle. Autrement dit, ma peinture n’était pas suffisamment vivante, et, pour moi, ce n’était pas de l’art, tout simplement. Je me suis forcé à appréhender autrement ma peinture, à innover : j’ai commencé à mettre plus de moi-même dans mon aquarelle, plus de sens et d’émotions. C’est la direction que j’ai donnée à mon travail – et c’est encore la direction que je lui donne aujourd’hui. Je pense fermement que lorsqu’un artiste insuffle de la passion dans sa peinture, alors elle peut atteindre un autre niveau et vraiment devenir de l’art.
Chaque peinture est précédée d’une phase de réflexion. Je commence mon processus de création par m’exprimer librement dans des croquis, et je laisse mon état d’esprit du moment guider mon choix de couleurs.
Une fois mes croquis réalisés – et il y en a parfois beaucoup –, je me laisse un temps de réfl exion pour les étudier. Ce n’est qu’alors que je commence la peinture proprement dite, une fois qu’une idée particulière me convienne et me satisfasse pleinement.
Page 92 Tan Suz Chiang
Tableau à la loupe : Relationship #2
Relationship #2 a figuré parmi les 23 tableaux retenus pour l’étape finale du Concours mondial de l’Aquarelle, organisé par l’Art de l’Aquarelle. Il était donc judicieux et approprié de revenir sur cette oeuvre. Comme l’explique l’artiste : « Relationship #2 montre un endroit où se sont déroulés plusieurs événements importants dans ma vie, certains heureux, d’autres plus tristes. Tandis que j’ai laissé la couleur prendre le dessus sur ma peinture, je me suis remis ces moments en mémoire. »
LE SUJET
Ce tableau a beaucoup d’importance pour moi : il a été le fruit d’un défi personnel que je me suis lancé. Il représente le lointain souvenir d’un lieu important dans ma vie : Johor, en Malaisie, où j’ai grandi. C’est là que j’ai joué avec mes amis d’enfance, que j’ai rencontré ma femme… et que j’ai pris la décision de devenir un artiste. C’est là qu’ont eu lieu tous les événements importants qui m’ont façonné en tant qu’être humain et en tant qu’artiste. L’urbanisation a changé ce lieu qui m’est cher ; aussi, j’ai essayé avec ce tableau d’archiver cet endroit dans ma mémoire, avant qu’il ne soit changé et ne disparaisse pour toujours.
LA TECHNIQUE AU SERVICE DE L’ÉMOTION
En tant qu’artiste, j’ai pris la route de l’amélioration constante en me mettant au défi d’essayer des techniques artistiques nouvelles et innovantes. Relationship #2 est en ce sens très représentatif car j’en ai combiné plusieurs afin de créer un langage artistique novateur. Outre l’aquarelle proprement dite, j’ai appliqué de l’encre de Chine et les techniques du batik pour augmenter et enrichir ma création. Le résultat de ce défi est l’occasion pour le spectateur de faire l’expérience de la fusion des cultures artistiques occidentale, chinoise et malaisienne, qui se marient dans une parfaite harmonie.
LE MESSAGE
En Asie, nous sommes confrontés au besoin de moderniser et développer nos pays afin de nous aligner sur les attentes des marchés mondiaux. Bien souvent, cela se fait au détriment de notre culture et de nos souvenirs. Alors que nous vieillissons, nos souvenirs deviennent de plus en plus vagues et, dans ce sens, mes aquarelles tentent de capturer l’image évanescente des lieux qui me sont chers. Bien sûr, il est toujours possible de garder une trace photographique de ces lieux, mais je me sers de mes peintures aussi pour saisir mon état d’esprit et mes émotions alors que je peins.
Peaceful Village
2012.56 x 76 cm
Ici, j’ai utilisé des contrastes de teintes importants pour créer un effet lumineux efficace. La pose de tons plus sombres, combinés avec les zones laissées blanches, donnent une illusion d’espace et de lumière.
Dawn2
2012.56 x 76 cm
Nous vivons dans un monde trépidant, dirigé par le matérialisme. Ainsi, nous avons tendance à ne plus voir tant de choses importantes, comme les formes de communication les plus simples entre humains. J’espère sincèrement que mes toiles nous ramènent à ce qui est beau et à ce qui nous permet de vivre une vie bien remplie et proche de la nature.
Un aperçu de ma technique
L’ARCHITECTURE A TOUJOURS ÉTÉ L’UNE DE MES MUSES. QUAND JE TRAVAILLE CE THÈME, J’UTILISE TROIS TECHNIQUES DE BASE : JE FAIS CIRCULER L’AQUARELLE POUR CRÉER L’ENVIRONNEMENT DE MON SUJET ; JE PLANIFIE MÉTICULEUSEMENT MES TOUCHES DE PINCEAU AFIN DE CRÉER LES STRUCTURES ARCHITECTURALES ; J’AJOUTE LES DÉTAILS À LA BROSSE SÈCHE.
1
Je commence par créer ma composition générale au crayon ; puis, à l’aide d’une brosse large, je mets en place mes premières couleurs.
2
Alors que les tonalités du ciel sont encore humides, je passe un autre lavis, suivi de touches de terre de Sienne et de terre de Sienne brûlée afin d’ajouter des détails et des valeurs sombres. Je continue en posant des touches plus abstraites.
3
Une fois l’arrière-plan terminé, j’ajoute des lignes, ce qui me permet de fondre les différentes formes entre elles, de rendre l’espace plus fluide et d’unifier ma composition. Puis, je pose à nouveau des touches de valeur sombre qui vont apporter des textures.
F.Perrot

Franck Perrot
L’envie de montrer, la volonté de suggérer
Illustrateur de formation, Franck Perrot aime mettre en valeur le corps de la femme, qu'il sublime avec de magnifiques jeux d'ombre et de lumière.
Trouver ce point de rupture, ce grain de folie qui va faire passer la peinture de forte techniquement à personnelle.
Émile Cohl est certes une école qui m’a formé à l’illustration, mais j’y ai surtout appris toutes les bases du dessin et de la peinture.
J’y ai découvert le plaisir de regarder, de dessiner, de peindre, le goût de l’effort. J’y ai développé une ouverture d’esprit en abordant tant le dessin académique que l’infographie, la sculpture ou la bande dessinée. Je réinvestis tout cela dans chaque dessin et dans chaque peinture que je réalise.
Dans cette école, j’ai surtout employé l’acrylique et la gouache. L’aquarelle est venue très progressivement sur les conseils de mes professeurs qui ont jugé que je travaillais la gouache avec une sensibilité d’aquarelliste.
Mon intention est la plupart du temps assez précise. Ce sont mes objectifs qui me guident. Aquarelle, gouache ou pastels ne sont que des moyens d’y parvenir. La particularité de l’aquarelle est que la transparence ne supporte évidemment pas la surcharge. Au début, je disposais d’un matériel minimum, un crayon, quelques craies. Le mélange du crayon et de la craie grasse blanche m’a permis d’obtenir un bleu sans me procurer d’outil supplémentaire ! Aujourd’hui, j’ajoute parfois de la gouache blanche dans mes aquarelles pour obtenir un blanc-bleu velouté.Page 62 Franck Perrot
Je dessine chaque jour environ deux heures, pour réfléchir, rechercher, essayer. Je remplis des carnets entiers de dessins.
Je n’ai aucune obligation de réussite. Je suis totalement libre. Mes crayonnés peuvent être complètement ratés.
Ensuite, je sélectionne ceux que j’estime les mieux réussis et qui méritent de passer à l’aquarelle. Soit je les reporte sur une feuille d’aquarelle, soit je les scanne et je les imprime.
L’impression de croquis sur des feuilles d’aquarelle me permet de gagner en liberté et en souplesse car, en reportant un croquis, on perd facilement la spontanéité du trait initial alors qu’en scannant et en imprimant, tout est conservé. Cette technique est directement issue de l’illustration.
Je réalise bien sûr aussi des aquarelles avec un crayonné direct sur la feuille.
J’essaie de représenter des nus qui disent la vérité : femmes imparfaites mais femmes réelles, aux rondeurs sucrées dessus les hanches, gourmandes sur le bas des reins, femmes claires-obscures et poétiques.
Lorsqu’une femme regarde une de mes peintures, j’ai parfois l’impression que, pendant quelques secondes, elle se dit que le bourrelet qu’elle a sur le ventre a beaucoup de charme, finalement.
Si l’on considère que l’érotisme provient de la stimulation de l’imagination, tout n’étant pas dévoilé à la vue. C’est effectivement ainsi que je travaille, entre la volonté de montrer et l’envie de suggérer derrière un élément de lingerie colorée ou bien en ne détaillant pas une partie de ma peinture.
Mais je reste toujours dans le registre poétique, sensible, respectueux. Représenter des nus peut être vulgaire, pornographique.
Moi, j’ai choisi de ne jamais être choquant. J’ai envie que les enfants puissent regarder mes peintures, que les femmes ne se sentent pas dégradées en voyant mon travail, que les hommes apprécient encore plus les formes de leurs femmes même si elles ne correspondent pas aux canons actuels de la beauté d’après les magazines.
La technique est ici au service de l’oeuvre
À énormément travailler sa technique, on finit par avoir éventuellement une peinture très belle mais sans âme, parfaite d’une certaine manière, mais totalement impersonnelle. C’est ce que je cherche à éviter, mais c’est un vrai défi. Il s’agit de trouver ce point de rupture, ce grain de folie qui va faire passer la peinture de « forte techniquement » à « personnelle ».
J’ai suivi une solide formation en dessin. Je dispose donc de toutes les bases techniques pour réussir une peinture. Mais mettre un peu de moi dans mon travail, c’est prendre le risque de tout gâcher par des choix qui ne sont plus techniques (donc clairement maîtrisables), mais de l’ordre du sensible.
La difficulté, c’est de savoir à quel moment s’arrêter. Mais ne rien chercher parce qu’on sait déjà faire, c’est triste, non ?
Les couleurs
Ma palette s’est réduite petit à petit car j’estimais que mes images se perdaient dans les couleurs et manquaient d’efficacité. J’ai pris goût à ces splendides gris colorés ehaussés de quelques touches saturées. Mais les couleurs continuent néanmoins de me fasciner et je fais beaucoup d’études dans lesquelles je les expérimente.
Photo ou modèle vivant ?
75 % de mes oeuvres sont peintes d’après photo et 25 % d’après modèle vivant. Je travaille beaucoup d’après photo parce que, d’un point de vue pratique, au quotidien, je reste dans mon atelier.
Je ne me suis jamais posé le problème des droits d’auteurs par rapport à des photos récupérées sur Internet ; en effet, comme lorsque je peins un paysage en extérieur, je fais tellement de choix (cadrage, lumières, point focal) que je réinterprète vraiment la photo. Elle n’est pour moi qu’une source d’inspiration.
Je choisis la plupart du temps une photo parce qu’un détail m’intéresse : la position d’une épaule, les plis du ventre qui prennent remarquablement bien la lumière. Puis je commence à l’interpréter et à faire mes choix de peintre.
Démo « Arrivée dans l’atelier »
FRANCK PERROT NOUS FAIT ICI LA DÉMONSTRATION ÉCLATANTE DE SA MANIÈRE DE METTRE EN VALEUR CERTAINES PARTIES DE SA COMPOSITION AFIN DE DIRIGER LE REGARD DU SPECTATEUR.
1
Je commence par faire un crayonné assez poussé avec lequel je mets en place mon dessin et les valeurs. Certains choix s’opèrent déjà : notamment celui de mettre en avant certains éléments plus que d’autres.
Je scanne mon dessin et je l’imprime sur une feuille aquarelle Centenaire grain fin 300 grammes.
2
Sur la surface sèche, je passe un premier lavis bleu outremer désaturé avec l’orange permanent afin d’obtenir une dominante de couleur.
J’accentue l’orange dans le drapé.
3
À l’aide d’un second lavis, j’affirme les parties qui doivent attirer le regard :
le bas du corps et la robe.
4
Les dernières touches permettent d’accentuer les contrastes ainsi que la saturation des couleurs au niveau du point focal.
Chen-Wen Cheng
Au coeur du réel, le portfolio de Chen-Wen Cheng

L'élément clé d'une grande peinture réside dans l'émotion qu'elle retranscrit
Gagnant du concours international d'aquarelle, Chen-Wen Cheng a l'honneur du portfolio pour ce numéro 23.
Il remporte le concours grâce à son tableau Loving mother, peint en hommage à sa mère décédée.
Une approche réaliste et délicate est très importante pour moi. Cela m’a permis de rendre compte de bien des moments tendres. Ma mère est décédée il y a quatre ans et j’ai créé une série de peintures afin d’alléger ma peine. Loving Mother est une de ces oeuvres. En regardant ces visages rendus avec soin et réalisme, je pouvais ressentir l’amour et la dévotion de ma mère. L’aquarelle réaliste m’a permis d’atteindre les parties les plus profondes de mon âme et de ma mémoire et d’exprimer une abondance d’émotions. Elle est donc naturellement devenue ma forme d’expression privilégiée.
Page 59 Chen-Wen Cheng
J’aime vraiment représenter les matières qui permettent de faire ressortir les textures. Cela requiert de savoir maîtriser le dessin. On les remarque davantage avec une source de lumière latérale. Il faut également du papier à grain et une touche rapide avec un pinceau sec. J’effectue aussi des retraits dans l’humide et je crée des motifs avec un papier abrasif très fin. Le papier que j’utilise – de l’Arches 640 grammes – se prête admirablement à ces techniques.
La gestion des blancs et des zones claires est une partie très importante dans l’aquarelle. Non seulement je réserve certaines zones, mais j’utilise aussi de la gomme à masquer. Grâce à de l’eau et un pinceau à poils durs ou une vieille brosse à dents, je peux aussi récupérer mes blancs. En procédant ainsi, on peut obtenir des lumières magnifiques, mais cela demande beaucoup d’expérience et d’entraînement. Un papier épais, comme de l’Arches 640 grammes, peut supporter de multiples lavages.
On développe nos techniques en fonction de nos besoins. Tout est lié : la technique, l’oeuvre et l’artiste. Les artistes ne doivent pas surestimer la technique. Une peinture paraîtra trop décorative et ne projettera pas de sentiments si un artiste consacre trop d’efforts à montrer son savoir-faire.
On a souvent tendance – et à tort ! – à penser qu’une technique adroite et rapide est forcément « bonne », ce qui n’est pas le cas.
Des artistes pétillants auront tendance à choisir des couleurs vives, des artistes ténébreux, des touches mornes et les artistes mystérieux créent des oeuvres pleines de suspense. Les peintures sont le refl et des artistes qui les créent et, conséquemment, une bonne technique est celle qui reflète véritablement la nature de l’artiste.
L’élément clé d’une grande peinture réside dans l’émotion qu’elle retranscrit. Même si les personnages représentés ne sont pas en tout point similaires aux modèles, un artiste peut néanmoins exprimer son affection pour eux et ses sentiments. Loving Mother n’est pas simplement le portrait de ma mère, pour moi cette peinture symbolise l’amour maternel, qui se manifeste par la gentillesse, la simplicité franche et le dévouement à ses tâches ménagères.
C.Chung Wei

Savoir-faire, avec 3 pas-à-pas de scènes urbaines
expliquées par Chien Chung Wei
Cet artiste que l'art de l'aquarelle a rencontré en grand entretien au No 18, nous explique les tonalités d'un tableau.
Le fond d’une peinture – c’està- dire les tonalités, les formes et les textures – détermine généralement à 80 % son ambiance globale. Pourtant, c’est assez paradoxal, alors que le peintre se saisit de son pinceau pour poser sa première touche sur la feuille encore vierge, environ 70 % de la peinture est déjà terminée. Les matériaux et la technique ne comptent que pour 20 % dans la réalisation d’une aquarelle. Pourtant, la maîtrise de cette petite partie ne peut s’accomplir qu’après vingt ans de pratique. Si vous prenez une partie d’une peinture, n’importe laquelle, elle doit posséder les mêmes caractéristiques que la peinture dans son ensemble. En d’autres termes, chaque partie fonctionne comme une version en modèle réduit de la globalité de la peinture.
Pourquoi une peinture est-elle un échec ? Dans un cas sur dix, c’est parce que le peintre ne connaît pas suffisamment bien sa technique ; en revanche, neuf fois sur dix, une peinture échoue parce que le peintre ne sait pas au départ ce qu’il veut représenter. Quand sait-on qu’une peinture est terminée ? La réponse se trouve en fait dans votre intention de départ : que comptiez-vous rendre ? Quelles étaient vos idées à la base ?.
Un peintre a plus de chance d’échouer dans sa peinture en utilisant de l’aquarelle transparente que n’importe quelle autre technique, tout simplement parce que c’est la plus difficile à maîtriser qui soit. Les échecs avec les autres techniques se résument généralement à deux causes : des problèmes esthétiques dans la composition et dans le dessin. Il arrive parfois que vous obteniez des formes intéressantes en peignant rapidement. Ce n’est qu’une fois que vous aurez établi la structure de votre peinture que vous pourrez apprécier le plaisir d’une gestuelle plus libre et dégagée de toute contrainte.
Page 84 Chien Chung Wei
Démo 1 NUIT VÉNITIENNE
1
J’aime mettre en évidence les belles formes. Lorsque je pose mes contours au crayon, je garde en tête la variété des formes, leur taille et la manière dont elles s’équilibrent afin de créer ma composition. Je commence par établir mes proportions à l’aide d’un crayon 4B, puis je souligne tout avec un crayon 2B en partant du point focal. Les parties les plus importantes sont dessinées avec plus d’application. Concernant les parties secondaires, je me contente de « faire faire une balade à mon pinceau ».
2
Peindre une scène de nuit illuminée par des réverbères est un bon exercice pour utiliser la gomme à masquer. Après avoir réservé les lampadaires et les réfl exions dans l’eau, je mouille ma feuille d’Arches 640g. Puis, à l’aide d’un grand pinceau plat, je peins les zones claires, c’est-à-dire le ciel et la surface de l’eau, avec du bleu de cobalt, du bleu outremer, du bleu céruléum et du cendre bleu. J’augmente progressivement l’intensité des couleurs lorsque je peins les nuages foncés et les vagues sur l’eau. Bien sûr, vous n’êtes pas obligé de peindre les vagues et les nuages en même temps, mais les peindre les uns après les autres vous donne plus de contrôle.
3
Une fois la première couche sèche, je suis prêt à peindre les zones les plus foncées. Je commence à partir du point focal. Je contemple tout ce que qu’il y a dans cette partie – le pont, les bâtiments, les bateaux, etc. – en les considérant comme une seule et même forme. J’utilise un mélange de rouge clair, de brun Van Dyck afin de créer de magnifiques tons intermédiaires. Je mouille toute cette zone, avant de poser des tonalités gris sombre à l’aide d’un gros pinceau ; j’ajoute ensuite les couleurs les plus sombres avec une peinture plus visqueuse lorsque mes gris sont presque secs
4
Je peins généralement section par section. Si vous êtes capable de contrôler le flux d’eau, alors n’hésitez pas à peindre des zones les plus larges possibles. Mais si vous ne vous sentez pas confiant, commencez alors par de petites zones.
5
Je m’attelle ensuite aux parties les plus sombres. Lorsque la peinture est presque sèche, j’essaye de donner un effet de peinture à l’huile en appliquant de la peinture très sèche avec une petite brosse synthétique. Je vais lever ma couleur avec la lame d’un couteau pour représenter des petits points lumineux. Je peux maintenant rentrer dans les détails, la « décoration » de la peinture.
6
Après avoir retiré la gomme à masquer, j’adoucis les contours autour des réverbères à l’aide d’un lavis d’eau claire. Je passe ensuite un léger lavis de jaune de cadmium afin de créer des halos de lumière. Vous pouvez laver certains détails du pont, des bateaux et des murs à l’aide d’un pinceau trempé dans de l’eau propre, et passer ensuite un lavis léger et gris afin de donner plus de volume à vos formes. J’ai choisi de me concentrer sur le point focal : les lampadaires, le pont et les bateaux. Lors de cette étape finale, il est important de ne pas se perdre dans les détails. Je prends du recul, et si ce que je vois me convient, j’arrête !
Nuit vénitienne
2014. 54 x 38 cm.
Démo 2 VUE ÉLOIGNÉE EN DEUX PLANS : PARC ET BÂTIMENTS
1
À l’aide de ce croquis de valeurs, je fais un dessin au trait, toujours au crayon 4B sur du papier aquarelle Arches 640g. Cela me permet de déterminer l’emplacement des grandes masses. Ensuite, en partant du point focal, j’esquisse les contours des formes avec un crayon 2B. Si j’ai besoin d’ajuster la localisation d’un objet, je me contente de dessiner une ligne pour le recouvrir et faire la correction. Je ne me sers quasiment pas de ma gomme.
2
Je commence par le fond. Je prends un mélange très liquide de bleu de cobalt, de bleu outremer, de cendre bleu et de terre d’ombre afin d’obtenir un gris froid que j’applique sur le fond de ma peinture avec un pinceau très large. J’ajoute ensuite des quantités généreuses de peinture dans les zones sombres de la partie supérieure gauche. Lorsque cette peinture est presque sèche, je prends une brosse en poils synthétiques avec une grande quantité de peinture afin de créer des effets sec sur sec, comme de la peinture à l’huile. Pensez au rythme et au mouvement. Mais n’en abusez pas, cela peut nuire à l’ambiance générale.
3
J’ai divisé les bâtiments en deux parties. J’ai peint la partie la plus claire sur la gauche en essayant de rendre la richesse des couleurs sans me servir des couleurs primaires. J’ai bien aimé mélanger du carmin d’alizarine, du jaune de cadmium et des bleus dans des proportions différentes afin de produire des teintes sourdes. Et je prends soin de laisser quelques emplacements blancs avec une texture de cristal
4
J’ai ensuite peint les maisons sur la droite et j’ai ajouté des tons sombres pour représenter les arbres. À l’aide d’un cutter, lorsque la peinture est encore fraîche, j’en enlève afin de rendre les formes des bateaux sur la rive. Si la peinture était sèche, je n’aurais qu’à mouiller la surface et attendre quelques secondes avant de la gratter. Jusqu’ici, j’ai bien respecté mon plan : c’est-à-dire d’avoir une structure picturale faite d’ombres et de lumières sans trop de détails
5
Il y a deux points focaux dans cette peinture : le premier est le bateau sur la gauche ; le second est constitué par la ligne des buissons sur la droite. J’ai ensuite ajouté les détails dans ces deux zones avant de rendre tout ce qu’il y avait autour. Lorsque j’ai dessiné l’esquisse au crayon, je n’ai pas indiqué les emplacements des poteaux télégraphiques. Maintenant, je vais donc faire des enlevés de peinture pour les représenter.
6
Il n’est pas nécessaire de peindre plus à ce stade. Il m’arrive parfois de laver de manière consciente certains détails trop présents. Il est très difficile – même pour les artistes chevronnés – d’arriver à s’arrêter au moment où la peinture a atteint ce stade désiré de richesse et de profondeur. Et d’arriver à s’arrêter avant que la peinture ne soit gâchée par trop de travail ! Pour moi, la partie la plus compliquée ne réside pas dans la technique mais dans la prise de conscience.
Parc sur la rive gauche, Bali
2014. 54 x 38 cm
Démo 3 PLACE SAINT-MARC AU CRÉPUSCULE
1
Dans mon esquisse, toujours sur papier Arches 640g, je n’ai représenté que trois valeurs (noir, gris et blanc). J’ai ensuite posé les fenêtres, les personnages et les lampadaires en me basant sur la photo et les indications de mon dessin. Il ne faut pas chercher à représenter exactement ce que l’on voit, mais au contraire s’autoriser des libertés. j’ai réservé à l’aide de gomme à masquer les reflets de soleil sur les tours et les halos lumineux des lampadaires. Je m’assure que ces deux zones sont les parties les plus lumineuses de mon image. Je me suis ensuite appliqué à rendre le ciel. Je commence par humidifier cette zone avant de la peindre avec une base de jaune léger Brillight avant d’ajouter du cendre bleu et du bleu de cobalt afin de rendre une impression de bleu-gris.
2
Je vais maintenant m’attaquer aux valeurs intermédiaires. J’ai divisé cette zone en plusieurs parties que j’ai peintes à tour de rôle. Avant que chaque partie ne soit sèche, j’ai représenté des détails et des lignes fines avec de la peinture et un pinceau en poils synthétiques. Ces traces donnent une impression de peinture à l’huile, mais on ne les verra pas forcément lorsque le tableau sera terminé. Parfois, je peins comme cela juste parce que j’apprécie le processus de peinture et je m’amuse tout en jouant avec les valeurs.
3
Je peins mes tons de plus en plus sombres et je fais le lien avec les tons jaune-orange des toits. J’ai peint une zone orangée entre les deux bâtiments afin d’équilibrer la lumière jaune-orange dans la partie droite supérieure. Cette petite zone de couleur est importante ; je l’ai pensée dès l’esquisse avant de commencer ma peinture proprement dite.
4
À ce stade critique, deux éléments importants à prendre en compte : créer une échelle de gris et atténuer certains des contours à l’aide de lavis. Une fois la peinture sèche, j’ai fait des enlevés de peinture afin de représenter les lampadaires et certains détails architecturaux. Les parties réservées à la gomme à masquer sont toujours vierges de toute peinture. À ce stade, j’ai terminé mes premières couches de peinture ; il est maintenant temps de s’attaquer aux détails qui vont attirer le regard.
5
Je commence par représenter le point focal au centre, en enlevant la gomme à masquer et en passant ensuite un lavis jaune-orange. Ces lampadaires jouent un rôle important car ils permettent de relier les différentes masses peintes en jaune. Pas de souci pour retravailler certaines zones des bâtiments, mais il faut néanmoins garder une chose en tête : ne surchargez pas ! Laissez la surface de votre peinture respirer et ne travaillez pas à outrance chaque partie de votre tableau.
6
Progressivement, je m’attaque aux côtés de la peinture. Plus je m’éloigne du center, moins je me concenter sur les détails. S’il m’arrive de me perdre dans les détails, je prends du recul et je me recenter sur le point focal. Je sais alors par comparaison avec cette zone détaillée comment je dois traiter les autres parties, nécessairement subordonnées.
7
Ma peinture est presque terminée. Un rapide coup d’oeil me permet de déterminer que l’arcature de la fenêtre au center manque de finition. J’ai donc enlevé de la peinture sur un de ses côtés. De plus, j’ai ajouté des pigeons dans le ciel et au sol – un élément très symbolique de la place Saint-Marc à Venise ! Une fois ces dernières touches accomplies, je considère ma peinture terminée.
Crépuscule
2014
55 x 74 cm.