L'aquarelle asiatique est une fois de plus à l'honneur avec la biennale internationale de Shenzhen et les rencontres avec les taïwanais Huang Hsiao-Hui, Chen-Wen Cheng, Adisorn Pornsirikarn, Chien Chung Wei et Tan Suz Chiang. Taïwanais auxquels il faut ajouter les roses du thaïlandais Adisorn Pornsirikarn ou les scènes parisiennes de Bancha Sriwong-Rach, l'indien Amit Kapoor et le Singapourien Ky Tam.
Le dossier nous révèle la nouvelle génération d'aquarelle en Russie avec Dasha Rybinal, Konstantin Sterkhov, Alexander Votsmush et Anna Ivanova.
Une rencontre avec les couleurs de Barbara Nechis et les nus de Franck Perrot.
L'actualité
Le Concours mondial de l’Aquarelle 2014
Nous avons patienté depuis un an pour connaître le résultat du concours international de l'Aquarelle. Nous voici sur la ligne d'arrivée, à Narbonne, en ce 1er octobre 2014.
Georges Artaud avait fait le déplacement depuis Le Mans pour recevoir le Prix de la Meilleure peinture française, assorti de 1 500 euros et d’un reportage dans le prochain numéro du magazine (voir Ada 24 et portfolio).
Le Grand prix du jury fut décerné à Chen-Wen Cheng pour son portrait intitulé Loving Mother. Cette récompense était assortie de 8 900 euros de récompense, ainsi que d’un reportage dans le magazine (en page 50 de ce numéro).
Le Mondial de l’Aquarelle a été le concours le plus important de l’année pour un grand nombre d’artistes professionnels et amateurs et, pour certains, de leur carrière. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2 000 participants à la sélection en provenance de 82 pays.
« Cinq des sept prix ont été donnés à des Chinois », ai-je entendu. Eh oui ! Les Chinois ont le plaisir de ramasser presque tous les prix dans les concours, dans tous les pays, aujourd’hui. C’est la réalité.
A partir du n° 24 de l’Art de l’Aquarelle (l’édition du mois de mars 2015), il y aura une rubrique spéciale réservée uniquement aux peintures de nos lecteurs. On vous invite à nous envoyer une photo d’une de vos oeuvres originales dans un thème précisé auparavant : pour inaugurer ce concours, nous avons choisi la nature morte.
Présidente du Jury Janine Gallizia
La Singapore Watercolour Society
La Singapore Watercolour Society a fêté en septembre dernier ses 45 bougies. La SWS a grandi pour devenir au fil des ans une association professionnelle à but non lucratif qui compte aujourd’hui plus de 120 membres.
En 2009, Ng Woon Lam (voir Ada 24) devint le second aquarelliste singapourien à être membre signataire de l’AWS. Il fut nommé par la suite « Dolphin Fellow » en 2014 après que deux de ses tableaux ont reçu la médaille de bronze lors d’expositions annuelles de la Société. D’autres membres de SWS, tels que Chan Chang How, Chow Chin Chuan, Khoo Cheang Jin, Lok Kerk Hwang, Tam Kwan Yuen, Tan Suz Chiang (voir Asie), Marvin Chew, Loy Chye Chuan, Seah Kam Chuan, Tia Kee Woon, Chew Piak San et Zhu Hong.
Retour sur ...
La Biennale de Shenzhen
Le coup d’envoi de la manifestation a été donné en décembre 2013 et l’exposition itinérante, après plusieurs escales à travers le pays, est visible encore quelques jours au Musée de Hainan, dans la ville de Haikou.
Véritablement tournée vers l’international, l’exposition a permis de confronter une vaste diversité de styles et d’approches de l’aquarelle, un signe, s’il en était, de sa vitalité. Plus de 10 000 visiteurs purent ainsi admirer les oeuvres lors de la première exposition à Shenzhen et, lors des dates suivantes, elle a connu un engouement sans précédent.
La suite est déjà sur les rails : la prochaine Biennale se tiendra entre 2015 et 2016 et ses inscriptions seront bientôt ouvertes à tous .
Révélations
Alexis Le Borgne, talent de demain.
Il aura fallu seulement quatre ans à Alexis Le Borgne pour parvenir à une maîtrise telle de l’aquarelle qu’elle lui a permis de se classer, avec son oeuvre Rêve de lumière (ci-contre), 7e – sur 700 participants issus de 69 pays – d’un concours international réservé aux moins de trente ans.
C’est une oeuvre que j’avais préparée comme ça, pour inaugurer une nouvelle série sur les intérieurs. Mais j’avais quand même suivi les conseils de l’Art de l’Aquarelle sur la façon de préparer ses oeuvres pour un concours.
P22 Alexis Le Borgne
Bancha Sriwong-Rach, artiste Thailandais en voyage à Paris.
Ma première vision de Paris, en tant qu’artiste thaï, fut celle des tons chauds et de la beauté de l’architecture, qui m’ont ramené tout droit vers le XVIIIe siècle et l’époque impressionniste.
Afin de pouvoir traduire l’élégance des monuments et leur signification historique, j’ai réalisé cette série dans un esprit logique.
Mon travail à l’aquarelle repose sur la pose d’une sous-couche, et l’utilisation de tons gris et sombres. Il en résulte ces images à la fois charmantes et mystérieuses.
P 24 Bancha Sriwong-Rach
Julio Jorge, Portugal.
J’essaie de ne peindre que des visages de gens que je connais, car j’aime leur parler, savoir qu’ils me font confiance, et de cette manière je peux ressentir leur âme, comprendre leurs joies et leurs peines et leur rappeler quels étaient leurs rêves.
Ma peinture est plutôt de nature réaliste, méticuleuse et précise. Je pratique une technique lente et de longue haleine qui exige beaucoup de patience, parce que la plupart du temps je peins dans l’humide, au moyen de petites touches, laissant les couleurs se mélanger et s’interpénétrer jusqu’à ce qu’elles atteignent les teintes voulues.
Je construis les visages petit à petit, les assemblant comme les pièces d’un puzzle…
P 25 Julio Jorge
Amit Kapoor, Inde.
L'art, pour moi, se rapproche de la méditation. J’essaie de capturer l’essence même de mes sujets avec passion, soignant particulièrement mon dessin.
Mes sujets ? Des rues, des scènes urbaines, des intérieurs, des cuisines
J’ai une passion pour les sujets ferroviaires : la fumée des locomotives, les voies ferrées, le remue-ménage dans les gares.
P 26 Amit Kapoor
Ky Tam, Singapour.
Mes aquarelles prennent principalement pour sujets des scènes urbaines de nuit : les éclairages qui contrastent avec la noirceur du ciel forment un effet visuel saisissant qui attire le spectateur.
Je commence par poser les sombres, en général le ciel ou les zones foncées des bâtiments ou des silhouettes. Puis je continue par une transition, un peu à la manière de Rembrandt, des foncés aux clairs (lumières de la ville) en réservant des zones blanches du papier ou en utilisant des couleurs éclatantes comme le jaune ou l’orange, qui offrent une transition rapide du sombre au clair. Ainsi j’arrive à rendre l’effet des éclairages dans les scènes urbaines.
P 27 Ky Tam
Asie
Huang Hsiao-Hui
Inspirée par l'aquarelle Britanique (Thomas Girtin, John Sell Cotman, William Henry Hunt, Edward Seago), Huang Hsiao-Hui est une artiste d'origine Taïwanaise sensible au rendu de la lumière.
Je n’avais pas peint de manière classique à l’aquarelle depuis une dizaine d’années. L’année dernière, je me suis lancée à nouveau en commençant par des lavis puis en donnant une impression de rêve à ce paysage par de petites touches très précises.
Je reste convaincue qu’en matière de réalisme en peinture, l’aquarelle n’est en rien inférieure à la peinture à l’huile.
Mon matériau brut provient à 50 % de mon esquisse, et à 50 % de mon imagination. J’enlève généralement les éléments incongrus ou peu attirants qui ne conviennent pas à l’équilibre de ma composition. Ou alors je les déplace. Parfois, je mets l’accent sur les passages de lumière et d’ombres dans les zones clés et j’amoindris les zones secondaires. Le tout dans le but de rendre une atmosphère.
Ma palette de base se compose des couleurs suivantes : carmin d’alizarine, laque écarlate, jaune de cadmium, orange Winsor, bleu outremer, bleu de cobalt, bleu Winsor, bleu céruléum, viridien, noir de fumée, brun Van Dyck, terre de Sienne brûlée, et terre d’ombre. Elles me permettent de créer une belle harmonie de teintes.
En outre, je peux ajouter en fonction de mes besoins des peintures translucides et opaques.
Ma particularité est de privilégier les couleurs qui granulent, tels que le bleu outremer, le bleu de cobalt, le brun Van Dyck et l’ombre naturelle. En utilisant beaucoup d’eau, on peut obtenir de surprenants effets de texture et de granulation
Page 30 Huang Hsiao-Hui
Adisorn Pornsirikarn

Fresque pour le roi de Thailande, 2013
130 x 500 cm
Adisorn Pornsirikarn a composé une gigantesque aquarelle en hommage au roi de Thaïlande.
Cette grande fresque représente aussi bien des fleurs que l’épopée mythologique de Ramayana. Elle est d’une dimension de 1,30 sur 5 mètres et a demandé à Adisorn une journée complète de travail là où il réalise habituellement ses aquarelles florales en deux ou trois heures de temps.
J’essaie de raconter l’histoire de la fleur, donc d’en saisir la force à l’aide de ma touche. En fait, une peinture de fleur est un peu la représentation de la dualité entre la délicatesse de la femme, symbolisée par la douceur des pétales, et la force de l’homme, symbolisé par le geste de l’artiste.
J’aime aussi ajouter des rehauts de lumière qui agissent un peu comme les rayons du soleil réfléchis à travers une pierre précieuse.
Je fais appel à la mémoire et je raconte directement l’histoire sur la feuille – un peu comme s’il s’agissait d’un roman : pour l’expliquer à une personne qui ne l’a pas lu, nous y ajoutons nos propres sentiments. Je préfère, et de loin, exprimer ma satisfaction et mes émotions, pas simplement restituer ce que je vois. C’est sans doute pour cela que j’attaque directement la feuille, sans dessin préparatoire.
Je dois prévoir l’intensité et les contrastes de couleurs, et surtout les emplacements de mes blancs et de mes zones les plus sombres. Dans une peinture en négatif, l’emplacement de la fleur sera laissé vierge lors des premiers lavis afin de rendre sa douceur et sa transparence.
Recevoir des fleurs, c’est comme en fait recevoir de l’amour et du soutien moral… voilà le message de mes peintures. Je peins surtout des fleurs locales, des fleurs de saison qui sont une représentation symbolique de la culture de Thaïlande et du Siam.
Page 79 Adisorn Pornsirikarn

Blossom, 2014
54 x 36 cm
Russie
Russie : la nouvelle génération
Quatre jeunes artistes avec une appropriation de style pour démontrer que l'aquarelle Russe se renouvelle.
Konstantin Sterkhov
Un des 4 organisateurs des Masters of Watercolour de St-Petersbourg 2015 (voir Ada 24), Konstantin Sterkhov insiste sur l'importance des valeurs, soutenue par des couleurs naturelles basées sur des pigments minéraux : l’ocre, les terres, les rouges de mars, les sépias… avec quelques bleus.
Cette oeuvre est un espace pour l’imagination. La femme dans le fauteuil est en train de se brosser les cheveux. Sa silhouette sombre se découpe contre la lumière filtrant à travers la fenêtre. On ne peut pas voir son visage, on ne peut pas voir ses mains, et on ne peut pas discerner ce qui se passe de l’autre côté de la fenêtre.
Tout cela, ce sont des détails inutiles : il appartient au spectateur de les compléter mentalement. Les informations suffisantes pour comprendre la scène sont : la lumière, le personnage et le mouvement.
Page 36 Konstantin Sterkhov
Dasha Rybina

320. Aquarelle et encre sur papier, 100 x 100 cm
Le titre de cette oeuvre est en fait une référence au nombre de carreaux de cette façade.Jeune artiste de 34 ans, Dasha Rybina insuffle une vision originale à des sujets classiques dans une technique monochrome qui n'est pas sans rappeler la grisaille.
Une amie m’a dit un jour que j’avais inventé une nouvelle façon de peindre : à la douche ! Je ne sais pas si c’est vrai, mais voici comment je procède.
Je représente souvent des sites architecturaux. Je commence par un dessin au crayon. Ensuite, je remplis l’espace et positionne mes ombres et mes lumières. Une fois que cette première étape est terminée, je lave mon dessin sous la douche !
Cela me permet d’effacer les lignes trop nettes. Ce qui reste alors de mon dessin est ce que je considère important. Une fois ma feuille sèche, je retravaille les détails là où cela me semble essentiel. Je peux répéter ce procédé entre une et cinq fois, si je ne suis pas satisfaite du premier coup.
L’avantage de procéder ainsi est que j’obtiens des effets que je ne pourrais obtenir autrement, c’est-à-dire avec ma main et mon pinceau.
Page 38 Dasha Rybina
Alexander Votsmush

All go to work and I go home. 60 x 92 cm
Bien que cette aquarelle ait été peinte d’imagination, elle retranscrit une vraie émotion. J’ai voulu représenter ce moment dans la ville où les gens vaquent à leurs occupations quotidiennes : certains se rendent au travail, d’autres dans des bars.Alexander Votsmush définit son style comme l'Aquarelle Bouillonnante, soit l’explosion dans le mouillé, le mouvement, la vitesse et la musicalité.
Je pense que ma créativité et mon imagination débordantes sont telles que l’aquarelle me convient le mieux pour toucher le coeur des gens. Parce que c’est la technique la plus rapide. Et face à la feuille blanche, l’angoisse a désormais disparu, pour laisser place à la joie de raconter une nouvelle histoire. Je cherche toujours à décrire et à retranscrire ce qui était mon idée initiale. Mais il arrive qu’en cours de route, cette idée change complètement.
Je commence par une esquisse au crayon (jamais plus d’une par aquarelle). Ensuite, je fais un dessin plus poussé sur ma feuille. Puis je pose mes premières couleurs – les primaires. Mes grands aplats sont peints dans l’humide. Enfin, je place mes détails sur sec.
Page 40 Alexander Votsmush
Anna Ivanova

A Woman in Pavlovskiy shawl.45 x 35 cm
Je suis toujours en train d’observer les gens. Je ne suis pas tout le temps capable d’identifier ce qui m’attire chez une personne mais une fois que la connexion se fait, je sais que j’ai envie de la peindre.
Anna Ivanova est une portraitiste qui a besoin d'un lien avec son modèle pour trouver l'inspiration et et restituer ressemblance et atmosphère.
Dans le cas d’un portrait en atelier, je commence par du mouillé sur sec pour poser mes grandes masses, puis, tandis que je rentre dans les détails, mon pinceau devient de plus en plus sec. Je peins par superposition de couches de couleur. C’est important car ainsi, à l’aide de couches transparentes, je peux obtenir la profondeur et la texture souhaitées. La transparence des couleurs est primordiale pour garder une peinture fraîche et spontanée malgré toutes les couches.
Je passe ensuite au fond, toujours peint mouillé sur mouillé, en humidifi ant les deux faces de ma feuille. Parfois, après l’avoir humidifiée, je dessine certains détails que je vais laisser sécher avant de mouiller à nouveau leur pourtour. Ensuite, j’ajoute les couleurs sur le fond. Dans le cas d’un travail en plein air, je vais peindre mouillé sur mouillé.
Page 42 Anna Ivanova
Abstrait
Barbara Nechis
La peinture de Barbara Nechis se situe entre le réalisme et l’abstraction. La couleur lui est fondamentale, si les formes peuvent se répéter, chaque couleur est une forme d’expérimentation en soi.
Canadienne diplômée en histoire et en beaux-arts, elle est l’auteur de Watercolor From The Heart: techniques for painting the essence of nature (1993).
J’utilise généralement des couleurs pures. En revanche, je vais tremper mon pinceau dans plusieurs godets successivement afin que les couleurs se mélangent ensuite sur la feuille. Mais lorsque je passe mes lavis et que je travaille en glacis, il m’arrive effectivement de mélanger mes couleurs.
J’utilise aussi bien des couleurs transparentes et opaques. J’aime bien les couleurs quand je travaille mouillé sur mouillé parce qu’elles retiennent mieux les formes. Il m’arrive aussi de combiner de la gouache à mes aquarelles pour leur donner un peu plus de corps.
Je n’utilise jamais de gomme à masquer ; je peins autour de mes zones blanches. Si je veux récupérer des blancs, je pose un pochoir sur la partie en question et je soulève mes couleurs avec une éponge.
Page 46 Barbara Nechis
Elaine Daily-Birnbaum
Elaine Daily-Birnbaum insuffle un élément de mystère dans ses peintures. Superpositions de couches à l'aquarelle et à l'acrylique , trace et griffures, sa quête expressive est sans fin.
Elle vit à Madison, dans le Wisconsin. Elle est membre de la San Diego Watercolor Society, de la National Watercolor Society, de l’American Watercolor Society et de la California Watercolor Society. Au cours de sa carrière, elle a reçu plus d’une soixantaine de prix.
Je suis un peintre intuitif et je ne fais que répondre aux formes et aux couleurs sur ma feuille. Bien sûr, j’ai entamé le dialogue par une première couleur. Mais ce premier geste ne me permet que de déterminer si je vais faire une oeuvre plutôt chaude ou froide.
Il m’arrive d’avoir une idée en tête, même si je n’arrive jamais à vraiment la saisir parce que je trouve toujours des images plus captivantes en cours de route. Lorsque je peins, je suis en état d’alerte. Ce qui est une raison pour lesquelles j’écoute des livres audio. Cela me permet d’occuper l’hémisphère gauche de mon cerveau, laissant mon hémisphère droit me guider dans ma création.
Choisir un titre pour un tableau me prend parfois autant de temps que le tableau lui-même. Il arrive aussi parfois que le titre vienne tout seul en cours de route quand je peins. Bien sûr quand cela arrive, cela a des répercussions sur mon travail en cours.
Page 70 Elaine Daily-Birnbaum
Tan Suz Chiang

Rhythm of Life, 2014
56 x 76 cm
Tan Suz Chiang est une artiste Malaisien, membre signataire de la National Watercolour Society (NWS) américaine, de la Contemporary Malaysia Watercolour Association, de la Malaysian Watercolour Society, de la Singapore Watercolour Society et de la Penang Watercolour Society.Aquarelliste réaliste à ses débuts, il a évolué vers des représentations plus abstraites où il imprime sa personnalité.
Chaque peinture est précédée d’une phase de réflexion. Je commence mon processus de création par m’exprimer librement dans des croquis, et je laisse mon état d’esprit du moment guider mon choix de couleurs.
Une fois mes croquis réalisés – et il y en a parfois beaucoup –, je me laisse un temps de réfl exion pour les étudier. Ce n’est qu’alors que je commence la peinture proprement dite, une fois qu’une idée particulière me convienne et me satisfasse pleinement.
Ce tableau a beaucoup d’importance pour moi : il a été le fruit d’un défi personnel que je me suis lancé. Il représente le lointain souvenir d’un lieu important dans ma vie : Johor, en Malaisie, où j’ai grandi. C’est là que j’ai joué avec mes amis d’enfance, que j’ai rencontré ma femme… et que j’ai pris la décision de devenir un artiste.
C’est là qu’ont eu lieu tous les événements importants qui m’ont façonné en tant qu’être humain et en tant qu’artiste. L’urbanisation a changé ce lieu qui m’est cher ; aussi, j’ai essayé avec ce tableau d’archiver cet endroit dans ma mémoire, avant qu’il ne soit changé et ne disparaisse pour toujours.
Page 92 Tan Suz Chiang

Relationship #2, 2014
Aquarelle sur Arches 300g, 56 x 76 cm
Franck Perrot
Franck Perrot
Illustrateur de formation, Franck Perrot aime mettre en valeur le corps de la femme, qu'il sublime avec de magnifiques jeux d'ombre et de lumière.
Trouver ce point de rupture, ce grain de folie qui va faire passer la peinture de forte techniquement à personnelle.
Lors de mes études d’arts plastiques puis lorsque j’ai suivi la formation proposée par l’école Émile Cohl de Lyon, j’ai surtout employé l’acrylique et la gouache. L’aquarelle est venue très progressivement sur les conseils de mes professeurs qui ont jugé que je travaillais la gouache avec une sensibilité d’aquarelliste.
La particularité de l’aquarelle est que la transparence ne supporte évidemment pas la surcharge. Au début, je disposais d’un matériel minimum, un crayon, quelques craies. Le mélange du crayon et de la craie grasse blanche m’a permis d’obtenir un bleu sans me procurer d’outil supplémentaire ! Aujourd’hui, j’ajoute parfois de la gouache blanche dans mes aquarelles pour obtenir un blanc-bleu velouté.
Je dessine chaque jour environ deux heures, pour réfléchir, rechercher, essayer. Je remplis des carnets entiers de dessins. Je n’ai aucune obligation de réussite. Je suis totalement libre. Mes crayonnés peuvent être complètement ratés.
Ensuite, je sélectionne ceux que j’estime les mieux réussis et qui méritent de passer à l’aquarelle. Soit je les reporte sur une feuille d’aquarelle, soit je les scanne et je les imprime.
L’impression de croquis sur des feuilles d’aquarelle me permet de gagner en liberté et en souplesse car, en reportant un croquis, on perd facilement la spontanéité du trait initial.
Page 62 Franck Perrot
- Je commence par faire un crayonné assez poussé avec lequel je mets en place mon dessin et les valeurs. Certains choix s’opèrent déjà : notamment celui de mettre en avant certains éléments plus que d’autres. Je scanne mon dessin et je l’imprime sur une feuille aquarelle Centenaire grain fin 300 grammes.
- Sur la surface sèche, je passe un premier lavis bleu outremer désaturé avec l’orange permanent afin d’obtenir une dominante de couleur. J’accentue l’orange dans le drapé.
- À l’aide d’un second lavis, j’affirme les parties qui doivent attirer le regard : le bas du corps et la robe.
- Les dernières touches permettent d’accentuer les contrastes ainsi que la saturation des couleurs au niveau du point focal.
Chen-Wen Cheng
Chen-Wen Cheng
Gagnant du concours international d'aquarelle, Chen-Wen Cheng a l'honneur du portfolio pour ce numéro 23.
Il remporte le concours grâce à son tableau Loving mother, peint en hommage à sa mère décédée.
Une approche réaliste et délicate est très importante pour moi. Cela m’a permis de rendre compte de bien des moments tendres. Ma mère est décédée il y a quatre ans et j’ai créé une série de peintures afin d’alléger ma peine. Loving Mother est une de ces oeuvres. En regardant ces visages rendus avec soin et réalisme, je pouvais ressentir l’amour et la dévotion de ma mère. L’aquarelle réaliste m’a permis d’atteindre les parties les plus profondes de mon âme et de ma mémoire et d’exprimer une abondance d’émotions. Elle est donc naturellement devenue ma forme d’expression privilégiée.
La gestion des blancs et des zones claires est une partie très importante dans l’aquarelle. Non seulement je réserve certaines zones, mais j’utilise aussi de la gomme à masquer. Grâce à de l’eau et un pinceau à poils durs ou une vieille brosse à dents, je peux aussi récupérer mes blancs. En procédant ainsi, on peut obtenir des lumières magnifiques, mais cela demande beaucoup d’expérience et d’entraînement. Un papier épais, comme de l’Arches 640 grammes, peut supporter de multiples lavages.
Page 59 Chen-Wen Cheng

Sunshine of Matsu Islands,2014
76 x 56 cm

Farmer in Autumn Sunshine, 2012
105 x 75 cm

Dancing, 2014
61 x 61 cm
Technique
Savoir-faire,
d'après Chien Chung Wei
Cet artiste que l'art de l'aquarelle a rencontré en grand entretien au No 18, nous explique les tonalités d'un tableau.
Le fond d’une peinture – c’est- à-dire les tonalités, les formes et les textures – détermine généralement à 80% son ambiance globale. Pourtant, c’est assez paradoxal, alors que le peintre se saisit de son pinceau pour poser sa première touche sur la feuille encore vierge, environ 70 % de la peinture est déjà terminée.
Page 84 Chien Chung Wei
Chien CW nous montre la réalisation d'un tableau en 7 étapes.
- Dans mon esquisse, toujours sur papier Arches 640 g, je n’ai représenté que trois valeurs (noir, gris et blanc). J’ai ensuite posé les fenêtres, les personnages et les lampadaires en me basant sur la photo et les indications de mon dessin. Il ne faut pas chercher à représenter exactement ce que l’on voit, mais au contraire s’autoriser des libertés. j’ai réservé à l’aide de gomme à masquer les reflets de soleil sur les tours et les halos lumineux des lampadaires. Je m’assure que ces deux zones sont les parties les plus lumineuses de mon image. Je me suis ensuite appliqué à rendre le ciel. Je commence par humidifier cette zone avant de la peindre avec une base de jaune léger Brillight avant d’ajouter du cendre bleu et du bleu de cobalt afin de rendre une impression de bleu-gris.
- Je vais maintenant m’attaquer aux valeurs intermédiaires. J’ai divisé cette zone en plusieurs parties que j’ai peintes à tour de rôle. Avant que chaque partie ne soit sèche, j’ai représenté des détails et des lignes fines avec de la peinture et un pinceau en poils synthétiques. Ces traces donnent une impression de peinture à l’huile, mais on ne les verra pas forcément lorsque le tableau sera terminé. Parfois, je peins comme cela juste parce que j’apprécie le processus de peinture et je m’amuse tout en jouant avec les valeurs.
- Je peins mes tons de plus en plus sombres et je fais le lien avec les tons jaune-orange des toits. J’ai peint une zone orangée entre les deux bâtiments afin d’équilibrer la lumière jaune-orange dans la partie droite supérieure. Cette petite zone de couleur est importante ; je l’ai pensée dès l’esquisse avant de commencer ma peinture proprement dite.
- À ce stade critique, deux éléments importants à prendre en compte : créer une échelle de gris et atténuer certains des contours à l’aide de lavis. Une fois la peinture sèche, j’ai fait des enlevés de peinture afin de représenter les lampadaires et certains détails architecturaux. Les parties réservées à la gomme à masquer sont toujours vierges de toute peinture. À ce stade, j’ai terminé mes premières couches de peinture ; il est maintenant temps de s’attaquer aux détails qui vont attirer le regard.
- Je commence par représenter le point focal au center, en enlevant la gomme à masquer et en passant ensuite un lavis jaune-orange. Ces lampadaires jouent un rôle important car ils permettent de relier les différentes masses peintes en jaune. Pas de souci pour retravailler certaines zones des bâtiments, mais il faut néanmoins garder une chose en tête : ne surchargez pas ! Laissez la surface de votre peinture respirer et ne travaillez pas à outrance chaque partie de votre tableau.
- Progressivement, je m’attaque aux côtés de la peinture. Plus je m’éloigne du center, moins je me concenter sur les détails. S’il m’arrive de me perdre dans les détails, je prends du recul et je me recenter sur le point focal. Je sais alors par comparaison avec cette zone détaillée comment je dois traiter les autres parties, nécessairement subordonnées.
- La peinture est presque terminée. Un rapide coup d’oeil me permet de déterminer que l’arcature de la fenêtre au center manque de finition. J’ai donc enlevé de la peinture sur un de ses côtés. De plus, j’ai ajouté des pigeons dans le ciel et au sol – un élément très symbolique de la place Saint-Marc à Venise ! Une fois ces dernières touches accomplies, je considère ma peinture terminée.